« À travers ce COMP, le CNRS affirme ses ambitions scientifiques et ses priorités pour les 5 ans à venir »
Le CNRS vient de signer le Contrat d’objectifs, de moyens et de performance qui le lie à l’État pour la période 2024-2028. Antoine Petit, Président-directeur général de l’organisme, en commente les points clés.
COMP ?
Depuis les années 1990, le contrat d'objectifs et de performance (COP) est un document stratégique réglementaire signé entre un établissement public et l’État, via les ministères de tutelle. Il permet aux opérateurs de l’État de définir leurs priorités et leurs objectifs, ainsi que des indicateurs de performance et de suivi. Depuis 2023, le Ministère en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche signe des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP), incluant un aspect de ressources financières et humaines. Cet accord pluriannuel sert de feuille de route pour l’établissement et d’outil de planification et de contrôle pour l’État.
Quelles sont les priorités que se fixe le CNRS dans son Contrat d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) 2024-2028 ?
Antoine Petit : Ce contrat quinquennal dessine une feuille de route pour l’organisme pour que le CNRS puisse continuer à faire rayonner la science française dans le monde. À travers ce COMP, le CNRS affirme ses ambitions scientifiques et ses priorités pour les 5 ans à venir.
Faire de la recherche fondamentale au meilleur niveau international reste, bien sûr, le cœur du métier de l’organisme. Nous avons donc tenu à inclure dans le COMP un « carnet scientifique » qui rassemble nos priorités scientifiques – une dynamique que nous avions déjà exprimée dans le contrat précédent mais qui reste originale dans ce type de document. Ce carnet identifie une quarantaine de priorités scientifiques, regroupées en 7 domaines1 , pour lesquelles nous avons décrit quelles contributions marquantes nous nous sommes fixés comme objectifs pour les cinq prochaines années. Elles ne couvrent évidemment pas l’ensemble des activités de recherches des équipes et des laboratoires du CNRS, mais elles découlent des travaux de prospective réalisés dans les instituts du CNRS. Chaque institut visera à engager un pourcentage significatif de ses moyens sur ces priorités.
Pour conduire cette recherche, il est également capital de renforcer les outils et axes transversaux qui soutiennent notre politique scientifique. Aux côtés de notre investissement dans les très grandes infrastructures de recherche, le développement de la science ouverte reste ainsi une de nos priorités. Le précédent contrat a été celui de l’ouverture des publications, avec un succès certain : aujourd’hui 95 % des publications des agents du CNRS sont en accès ouvert. Le nouveau contrat sera celui du dépôt massif des données de recherche.
Par ailleurs, lors de la conception de ce contrat, nous avons tenu compte des recommandations du Comité international, mis en place sous la responsabilité du HCERES, qui a évalué le CNRS fin 2023. Si le Comité avait salué notre action est écrivant notamment qu’il « considère le CNRS comme une institution de recherche majeure et de niveau mondial », il nous avait aussi fait des recommandations fortes pour « faire mieux » encore. Nous avons ainsi choisi de placer les questions de ressources humaines et d’attractivité en priorité, dès les premières pages, faisant écho également aux résultats de la consultation des agents CNRS, réalisée au second semestre 2023. Nous souhaitons conduire une politique RH ambitieuse pour attirer, soutenir et retenir les meilleurs talents, tant pour les scientifiques que pour les agents en appui, notamment en développant une culture du mentorat et de l’inclusion à tous les niveaux. Le CNRS s’engage également à travers son schéma directeur « Développement durable et responsabilité sociétale ». Ces enjeux seront ainsi directement intégrés dans la stratégie et dans les activités de l’organisme.
Ce COMP identifie six grands défis transverses auxquels l’organisme a l’ambition de contribuer de manière substantielle à moyen terme. Pourquoi ce choix ?
A. P. : Nous avions déjà fait cet exercice dans le précédent contrat. Cette démarche a produit un effet bénéfique, enclenchant une dynamique visible, transverse à tout l’établissement sur des enjeux majeurs. Elle a aussi permis de mieux expliquer ce que nous faisons à l’extérieur de notre sphère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les défis du COP 2019-20232
restent évidemment d’actualité, les actions lancées vont se poursuivre.
Pour cette nouvelle période, nous avons choisi d’identifier en complément six nouveaux grands défis transverses : le cerveau, les matériaux du futur, la vie dans l’Univers, l’instrumentation sans limites, l’IA générative pour les sciences et les sociétés en transitions. L’objectif est de mobiliser les dix instituts du CNRS de manière coordonnée et de structurer les communautés scientifiques qui pourront apporter à ces sujets des contributions substantielles et pluridisciplinaires dans les prochaines années. En particulier, nous y consacrerons une partie significative des recrutements de nouveaux chercheurs et chercheuses permanents. La sélection des six défis a pris en compte leur pertinence scientifique, la nécessité de mobiliser de nombreuses disciplines pour les aborder – ce que le CNRS est le seul organisme de recherche à pouvoir faire si efficacement – et leur temporalité, au sens où il est apparu que c’était le bon moment pour les considérer. Ces six thématiques nous paraissent en effet aujourd’hui suffisamment matures scientifiquement pour que cette mise en lumière donne des résultats significatifs.
Les 6 défis du CNRS d’ici 2030
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Le CNRS entend maintenir sa position d’acteur clé de la science mondiale. Comment cela se traduit-il dans ce contrat ?
A. P. : Les collaborations aux niveaux européen et international restent une priorité pour le CNRS. C’est d’autant plus important aujourd’hui dans un contexte géopolitique général compliqué, dans lequel il faut défendre non seulement nos valeurs – liberté de la recherche, libre circulation des idées et des scientifiques, intégrité scientifique, égalité de genre… – mais aussi les intérêts de la Nation, de l’Europe et leurs souverainetés.
Nous avons fêté en 2024 le 40ème anniversaire des programmes-cadres européens pour la recherche et l’innovation, dont le CNRS est le premier bénéficiaire. Il nous faut maintenir cette dynamique et amplifier notre action pour augmenter la présence du CNRS, et plus généralement des établissements français, dans les appels à projet européens, construire un espace européen de la recherche compétitif et promouvoir nos valeurs à l’échelle européenne. C’est pourquoi nous contribuons de manière très active à la construction du prochain programme-cadre (FP10) et nous entendons mettre à profit tous nos leviers d’influence, comme le réseau européen G63 .
Au niveau international, le réseau que le CNRS a construit depuis 85 ans contribue largement au rayonnement de la recherche française. Nous disposons pour cela de différents outils performants : les projets, les réseaux et les laboratoires de recherche internationaux bien sûr et aussi les centres de recherche internationaux, outil inédit lancé dans le cadre du précédent contrat et qui a démontré son intérêt ; les programmes de thèses conjoints que nous lançons avec des partenaires d’excellence pour co-construire des programmes de formation par et pour la recherche ; ou encore des feuilles de route régionales qui permettent un pilotage fin des coopérations internationales. Tout cela se fait en s’appuyant sur les onze bureaux de représentation internationale du CNRS. Nous proposons d’ores et déjà aux universités françaises volontaires de nous accompagner dans le développement de ces coopérations internationales : l’idée est de jouer « équipe France » pour que ces coopérations répondent aux priorités de chacun. Cela nous permettra aussi d’ajouter une dimension de formation et d’échanges d’étudiantes et étudiants à notre stratégie.
Et qu’en est-il du rôle du CNRS dans les programmes nationaux ?
A. P. : En 2021, l’État a lancé un plan d’investissement d’envergure, France 2030, qui vise à positionner la France comme un leader dans les technologies de demain. Côté recherche, cela se traduit par des programmes nationaux pour renforcer les efforts de recherche française. Le CNRS joue un rôle majeur dans ce plan, à travers différents volets. En particulier, grâce à sa capacité unique à mobiliser des compétences variées issues de nombreux domaines scientifiques, le CNRS pilote ou co-pilote près de ¾ des programmes PEPR lancés ou en cours de lancement, dont tous les PEPR exploratoires. Et il participe, via ses équipes, à tous les autres, ou presque.
Le CNRS contribue également au nouveau programme national « Recherche à risque », autre volet de France 2030. Par essence, toute recherche, en particulier fondamentale, comporte cette part de « risque ». Nous avons donc choisi d’interpréter cette notion en ciblant spécifiquement des projets scientifiques non seulement disruptifs scientifiquement mais aussi difficiles à financer par les canaux habituels (ANR, PEPR, ERC, etc.). Ces projets très ambitieux proposent tous une idée originale qui, en cas de succès, débouchera sur des avancées importantes en termes de connaissances, de savoir-faire et d’innovations.
Par ailleurs, l’État a confié une mission supplémentaire au CNRS fin 2023 : l’agence de programmes « Climat, Biodiversité, Sociétés durables » apportera une aide à la décision aux décideurs publics sur la base des connaissances sur le fonctionnement du Système Terre dans sa globalité. Fort de sa pluridisciplinarité, le CNRS participera également aux activités de toutes les autres agences confiées à nos partenaires académiques.
Une présentation à la Convention des directeurs et directrices d'unités
Le COMP 2024-2028 a été présenté en avant-première à l’ensemble des directeurs et directrices d’unités du CNRS, rassemblés le 12 décembre pour la première fois depuis les festivités des 80 ans du CNRS. Cette journée exceptionnelle à la Maison de la Mutualité à Paris a été l’occasion de partager la feuille de route stratégique du CNRS, ses chantiers prioritaires et ses ambitions internationales pour les prochaines années. Mélangeant annonces, réflexions sur des enjeux institutionnels, échanges avec des partenaires et personnalités, et témoignages scientifiques, ce rendez-vous a aussi démontré la continuité que seul le CNRS peut offrir entre recherche fondamentale et innovation au service de la société, avec la remise de la médaille d’or du CNRS 2024 à Edith Heard et des médailles de l’innovation aux trois lauréats et lauréates de l’année.
Quelles actions le CNRS entend-il mettre en œuvre pour partager les connaissances acquises ?
A. P. : Le CNRS se donne une ambition et une responsabilité : mettre la recherche fondamentale au service d'un progrès durable pour toute la société. La demande sociale de connaissances scientifiques n’a jamais été aussi forte même si, paradoxalement, les « anti-sciences » sont très audibles et les « fake news » et contre-vérités très répandues. Nous souhaitons donc amplifier nos actions pour éclairer les décideurs et décideuses, les citoyennes et citoyens sur de grands enjeux de société. C’est notamment le rôle de la Mission pour l’expertise scientifique créée en 2022, dont l’offre de services sera diversifiée, en expérimentant des formats plus courts, sur des périmètres plus resserrés. Ces expertises apportent des éléments d’aide à la décision en appui aux politiques publiques. Nous mettrons aussi en place, pour les professionnels, des programmes thématiques de compréhension des questions scientifiques majeures.
Le CNRS poursuivra aussi la politique très volontariste menée depuis plusieurs années pour faciliter le transfert de la recherche vers le monde économique, dont l'impact a été souligné par le Comité d’évaluation 2024. Cette stratégie de valorisation sera consolidée et renforcée. En premier lieu, nous poursuivrons le programme de prématuration, son articulation avec les SATT4 , la stratégie « filières » et le déploiement du réseau des ingénieurs transfert. Trois actions associées seront lancées : l’augmentation, en nombre et en montant, des contrats de transfert, l’animation renforcée du réseau des ingénieurs transfert et l’augmentation du montant des financements issus du secteur privé. Pour aller plus loin, nous nous efforcerons d’accroître la culture de l’innovation au sein du CNRS de manière à « donner envie » à un nombre croissant de personnels de recherche d’initier des actions de transfert de leurs résultats. Nous mettrons l’accent sur le partage d’expériences entre pairs, l’augmentation de la capacité d’action sur l’innovation dans les territoires et le lancement de preuves de concepts sur des idées plus novatrices. Nous généraliserons aussi cette approche aux projets à impact sociétal et environnemental (PISE) qui concourent également au développement de cette culture de l’innovation au sein des unités.
Enfin, la communication auprès du grand public constituera une des priorités de ce contrat. Par exemple, notre campus de Meudon doit accueillir un centre de médiation scientifique, à la fois showroom science et innovation, lieu de dialogue sur les grands enjeux scientifiques, et incubateur de projets autour des thématiques Science et Société. Nous poursuivrons également nos actions auprès du public scolaire, comme les années thématiques en partenariat avec le Ministère chargé de l’Éducation nationale.
Contrairement aux années précédentes, le contrat signé avec l’État est désormais un Contrat d’objectifs et de performance mais aussi de moyens. Qu’est-ce que cela change pour le CNRS ?
A. P. : J’avais appelé, lorsque j’ai été reconduit en 2022 à la présidence du CNRS à mettre en place un véritable contrat d’objectifs et de moyens, vertueux car engageant les deux signataires. Je reste convaincu qu’il est indispensable de mettre en regard les objectifs qui sont fixés au CNRS avec les moyens dont il dispose, aussi bien via la subvention pour charge de service public que via ses ressources propres. Pour cela, il faut partager avec l’État une vision pluriannuelle de l’évolution du budget du CNRS. Ce COMP est une première étape. Élaboré avec le Ministère en charge de la Recherche, qui en est co-signataire, il nous engage et doit nous aider à remplir nos missions d’employeur, d’opérateur de recherche, de coordinateur d’infrastructures de recherche et maintenant également d’agence de programme. Ce COMP signe notre engagement à mener une recherche fondamentale au meilleur niveau international et à la conduire au service de la société. C’est essentiel car il n’y a pas de grand pays sans grande ambition scientifique.
Notes
- Changements globaux, Ingénierie ; Matière, Numérique ; Ondes et particules ; Sociétés ; Vivant.
- Changement climatique, Inégalités éducatives, Intelligence artificielle, Santé et environnement, Territoires du futur, Transition énergétique.
- le Consiglio Nazionale delle Ricerche (CNR, Italie), le CNRS (France), le Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC, Espagne), la Helmholtz Association, la Leibniz Association et la Max Planck Society (MPG, Allemagne). Il représente plus de 142000 collaborateurs et collaboratrices en Europe.
- Treize Sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT) sont réparties sur le territoire. Elles assurent le relais entre les laboratoires de recherche et les entreprises et financent les phases de maturation des projets et de preuve de concept.