Un grand congrès scientifique sur l’océan se prépare

Institutionnel

Du 4 au 6 juin 2025, Nice accueillera le One Ocean Science Congress, organisé par le CNRS et l’Ifremer juste avant la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan. Jean-Pierre Gattuso, océanographe et directeur de recherche au CNRS, et François Houllier, président-directeur général de l’Ifremer, en expliquent les enjeux.

Quel est l’objectif du One Ocean Science Congress (OOSC) organisé à Nice du 4 au 6 juin 2025 ?

Jean-Pierre Gattuso : L’OOSC, organisé par le CNRS et l’Ifremer, précédera la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC3) prévue du 9 au 13 juin également à Nice alors que cette dernière vise à faire avancer les discussions internationales sur la protection des océans dans le cadre de l’Objectif de Développement Durable 14.

L’OOSC rassemblera environ 2 000 scientifiques pour discuter des enjeux majeurs liés aux océans. Il sera axé sur des conférences plénières et des sessions parallèles couvrant les dix thèmes majeurs de l’UNOC31 , le tout avec des chercheuses et des chercheurs de haut niveau. L’objectif est de fournir une base scientifique solide pour les discussions de l’UNOC3 qui visera à faire avancer les négociations sur des sujets cruciaux comme la pollution plastique ou encore la surpêche.

François Houllier : Effectivement, notre objectif est que l’OOSC constitue un véritable pilier scientifique de l’UNOC3, afin que celle-ci parvienne à des décisions politiques concrètes, même si elle n’est pas une COP au sens strict. Les recommandations du congrès seront élaborées par le comité scientifique international et formulées avant l’UNOC3 pour être intégrées dans les discussions internationales. L’OOSC aura une large représentation géographique, y compris des petits États insulaires particulièrement concernés par les enjeux marins. Ce sera un congrès scientifique orienté vers l’action et avec des temps de dialogue ouverts sur la société. Deux appels à contributions ont été ouverts les 15 et 22 septembre : un appel à communications scientifiques et un appel pour des town halls, c’est-à-dire des forums ou tables rondes dédiés aux liens entre science et action, science et décision, science et gouvernance ; ces deux appels sont disponibles sur le site du congrès

L’OOSC a donc été imaginé pour soutenir la décision politique et l’impact de l’UNOC3. Comment le CNRS et l’Ifremer contribuent-ils à la future conférence des Nations unies en plus de l’OOSC ? 

J.-P. G. : Le CNRS coorganise l’OOSC en collaboration avec l’Ifremer en vue de soutenir la décision politique à l’UNOC3. Et l’organisme mène en effet de nombreuses actions parallèles : tout d’abord avec son soutien à l’IPOS (International Panel on Ocean Sustainability) - porté par Françoise Gaill, conseillère scientifique au CNRS et qui jouera un rôle important à l’UNOC3, à noter également la contribution du CNRS au Manifeste pour un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins - enjeu lors de l’UNOC3, notre participation au comité de pilotage français de l’UNOC3 ou encore l’organisation de side events, en particulier sur l’observation et l’équité sociale lors de l’évènement. Enfin, le CNRS est également fortement impliqué dans Mercator Ocean International qui sera également présent à l’UNOC3.

F.H. : À l’occasion de l’UNOC3, l’Ifremer souhaite mettre en avant plusieurs projets de portée internationale. Par exemple : le développement du jumeau numérique de l’océan dans le cadre de la transformation de Mercator Ocean International en une organisation intergouvernementale ; en parallèle, la structuration des dispositifs d’observation de l’océan, car l’observation et la modélisation sont intrinsèquement complémentaires. Autres sujets importants pour l’Ifremer : le renforcement des collaborations internationales, notamment au sein de l’Europe, entre les flottes océanographiques nationales. 

Vous en avez parlé, l’IPOS et le MERCATOR seront des événement clés de l’OOSC et de l’UNOC3. Où en sont ces deux projets ?

J.-P. G. : L’IPOS est actuellement en cours de mise en place. L’IPOS a été imaginé comme une interface transdisciplinaire visant à renforcer la circulation des connaissances entre la science, la société et les politiques afin d’entraîner un véritable changement durable et transformateur pour le futur de l’océan. Il aura pour but de fédérer de nombreux acteurs concernés par la durabilité des océans issus de multiples domaines et actions et de créer des indicateurs pertinents pour les décideurs publics. Le congrès offrira un cadre et une caisse de résonance pour l’IPOS qui sera donc également présent lors de l’UNOC3.

F. H. : Le projet de « jumeau numérique de l’océan », porté par Mercator Océan International, a été lancé lors du One Ocean Summit à Brest en février 2022, premier sommet international consacré à la préservation de l’océan. Il sera également mis en avant lors de l’OOSC. Il s’agit de coupler des systèmes de simulation de l’océan (modèles numériques) avec des données d’observation de l’océan (données spatiales et in situ) pour décrire, analyser et prévoir l’état physique et biogéochimique de l’océan à tout moment, en surface ou en profondeur. Il s’agit aussi de rendre ces modèles et données accessibles, de telle sorte que l’on puisse répondre aux interrogations sur le devenir de l’océan. En ce sens, le jumeau numérique de l’océan est un instrument essentiel pour une meilleure gouvernance de l’océan. 

Comment la thématique de l’océan est-elle devenue un sujet de société central aujourd’hui ?

F. H. : Depuis une dizaine d’années, les questions océaniques ont pris de l’importance sur la scène internationale, au sein du G7 et des Nations Unies, ainsi qu’en Europe avec le programme cadre pour la recherche et l’innovation, Horizon Europe et notamment la mission « Régénérer notre océan et nos eaux d’ici 2030 », aussi appelée « Starfish ». Côté français, avant 2020, le Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) n’incluait que peu de projets sur l’océan. Aujourd’hui, plusieurs initiatives ont été lancées dans le cadre du plan France 2030 notamment au sein de plusieurs Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR)2 , ce qui reflète bien l’importance croissante des enjeux océaniques.

J.-P. G. : Dans cette dynamique, la France, en collaboration avec le Costa Rica, organise l’UNOC3. L'Année de la mer[3] s’inscrit parfaitement dans ce contexte, visant à renforcer les actions internationales pour la protection des océans.

Quels sont les grands enjeux scientifiques liés à l’océan aujourd’hui ?
J.-P. G. : Les problématiques liées à l’océan sont nombreuses. Cependant, s’il est essentiel de dresser une liste des menaces, il faut également identifier des sources de solutions. Le sous-titre du congrès est d’ailleurs « Science for action ». Parmi les grands enjeux figurent la surexploitation des ressources, les impacts du changement climatique (réchauffement, acidification et perte d’oxygène), l’élévation du niveau de la mer, la pollution plastique, la possible exploitation des ressources minérales… Sur beaucoup de ces enjeux, il existe des conventions, accords ou traités multilatéraux qui doivent absolument être fondés sur la science. Par exemple, en ce qui concerne la pêche, les connaissances scientifiques sont indispensables pour définir des quotas et assurer une gouvernance efficace de la ressource. 

F. H. : La question des interactions entre l’océan et le climat est centrale et s'articule autour de deux volets principaux : d’une part, les impacts du dérèglement climatique et la capacité de l’océan à réguler le climat de la planète, et d’autre part, les solutions fondées sur l’océan, notamment le développement des énergies marines renouvelables. Autre enjeu essentiel : la biodiversité marine, en particulier dans les environnements profonds encore peu explorés, demeure une frontière scientifique. En parallèle, la surexploitation des ressources et les pollutions d’origine continentale, comme les « polluants éternels3  », posent des défis majeurs. Parfois, les solutions résident davantage sur terre que dans l’océan, la gestion des écosystèmes terrestres ayant un effet direct sur la santé des mers. La science est claire : il existe une menace sans précédent pour les océans. Cependant, il y a aussi un espoir : protéger les océans, ce qui est précisément l’objectif de l’OOSC.

Comment la recherche scientifique se mobilise-t-elle face à ces enjeux ?

F. H. : Bien que de nombreux défis subsistent, un travail considérable est entrepris de la part des scientifiques pour développer des solutions et formuler des recommandations appropriées. La communauté scientifique internationale se consacre activement aux enjeux marins, avec une longue tradition de coopération. La recherche marine est coûteuse, et le financement de la science marine, par exemple, le financement des systèmes d’observation, constitue un enjeu majeur. Malgré l'ampleur des défis liés à l’océan, l'investissement dans la recherche océanique reste faible comparé à d'autres domaines. L'ODD 14 (Objectif de Développement Durable sur l’océan) est celui qui capte le moins de financements, que ce soit public ou privé. Une étude récente estime les besoins non couverts à 149 milliards de dollars par an. 

J.-P. G. : La recherche océanographique française figure parmi les plus importantes à l’échelle mondiale, après les États-Unis et la Chine. Elle s'organise entre les organismes nationaux de recherche (ONR) et les universités, qui travaillent en étroite collaboration. Plus de 7000 scientifiques, chercheurs, ingénieurs, doctorants, techniciens, issus des universités, du CNRS, de l’Ifremer, de l’IRD ou encore du Muséum national d’Histoire naturelle, sont mobilisés sur ces thématiques. Et l’Ifremer opère la Flotte océanographique française au bénéfice de l’ensemble de la communauté scientifique nationale, elle est l’une des trois plus grandes flottes océanographiques en Europe4 .

F. H. : La collaboration entre l’Ifremer et le CNRS est très forte, avec plusieurs programmes d’envergure comme le PPR Océan-Climat et les PEPR BRIDGES et Grands fonds marins qui impliquent également l’IRD. À l’international, des programmes de recherche en biologie marine, notamment en Atlantique Nord, sont très actifs. Les programmes-cadres européens comme Horizon 2020 ont également stimulé la recherche marine et favorisé les réseaux de collaboration. La recherche a depuis bien longtemps mis le cap sur l’océan et sa préservation, cette année et au vu des actions et évènements convergents, il est possible d’espérer des prises de décision concrètes dans ce sens.

  • 1Promouvoir la gestion durable de la pêche ; Préserver, gérer durablement et conserver les écosystèmes marins et côtiers ; Promouvoir et soutenir toutes les formes de coopération ; Prévenir et réduire considérablement la pollution marine de toutes sortes ; Exploiter les liens entre l’océan, le climat et la biodiversité ; Promouvoir des économies océaniques durables ; Promouvoir le rôle de l’alimentation durable provenant de l’océan ; Renforcer la coopération scientifique liée à l’océan ; Améliorer la conservation et l’utilisation durable des océans et de leurs ressources en mettant en œuvre le droit international ; Mobiliser des financements pour les actions en faveur de l’océan.
  • 2Côté CNRS, quatre PEPR/PPR porte la thématique Océan : le PEPR Bridges, AtlaSea, Grands fonds marins et Océan-Climat.
  • 3Antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs, ces substances ne se dégradent pas dans l'environnement et polluent l'eau, l'air, les sols et les sédiments.
  • 4La flotte océanographique française est composée de quatre navires de haute mer dits « hauturiers » (le Marion Dufresne, le Pourquoi pas ?, L'Atalante et le Thalassa) pouvant opérer des missions de 2 à 5 semaines sans faire escale et pouvant accueillir jusqu’à 40 scientifiques ; 6 navires côtiers et semi-hauturiers dont 4 travaillent en métropole et 2 en outre-mer pouvant effectuer des campagnes d’une dizaine de jours ; 7 navires de stations opérés par le CNRS qui sortent à la journée et des engins sous-marins ou de prélèvement tels que Victor 6000 - un ROV effectuant des missions d’observation et d’intervention jusqu’à 6 000 mètres de profondeur.