Un instrument de mesure pour mieux comprendre les batteries rechargeables

Innovation

L’entreprise BioLogic a récemment signé un partenariat de recherche avec deux laboratoires : le CSE et le LISE. Leur objectif : développer un instrument de mesure de haute précision permettant d’étudier les phénomènes électrochimiques se déroulant à l’interface électrode-électrolyte des batteries rechargeables.

Depuis plus de quarante ans, la société BioLogic développe des solutions complètes d’instrumentation scientifique, incluant des instruments de mesure de haute précision et des logiciels dédiés pour le contrôle et l’analyse des données. Des équipements qui s’adressent principalement aux laboratoires de recherche et aux industriels, pour des applications dans le domaine de l’électrochimie, comme l’étude des réactions électrochimiques au sein de dispositifs de stockage de l’énergie (batteries, supercondensateurs), de piles à combustible, d’électrolyseurs…

C’est pour approfondir ce sujet que l’entreprise a conclu un accord de partenariat, au printemps dernier, avec deux laboratoires de recherche : le laboratoire Chimie du solide et de l’énergie (CSE, CNRS/Collège de France/Sorbonne Université) et le Laboratoire interfaces et systèmes électrochimiques (LISE, CNRS/Sorbonne Université). Le projet se concentre sur des dispositifs de stockage de l’énergie particuliers : les batteries rechargeables. Avec l’objectif de mettre au point un prototype d’instrument de mesure de haute précision permettant de mieux comprendre les mécanismes électrochimiques en jeu. Cet instrument, qui a vu le jour au LISE, a récemment été introduit dans le domaine des batteries grâce à une collaboration avec le CSE. Ce projet vise désormais, en partenariat avec BioLogic, à moderniser cet instrument et à le diffuser largement au sein de la communauté des batteries.

L’équipe réunit Jean-Marie Tarascon, professeur au Collège de France et médaille d’or du CNRS 2022 pour ses travaux pionniers dans la compréhension et la création de la batterie lithium-ion, ainsi qu'Ozlem Sel, chargée de recherche CNRS au CSE, apportant leur expertise dans l'analyse de l'interface des batteries. Elle inclue également Hubert Perrot, directeur de recherche au CNRS, et Daniel Rose, ingénieur électronicien du CNRS au LISE, spécialistes de l'analyse électrochimique et de l'instrumentation. Enfin, Bogdan Petrescu, conseiller senior Science et Technologie chez BioLogic, contribue par son expertise en instrumentation pour la recherche en électrochimie et le test de batteries.

L’interface électrode-électrolyte au centre de l’attention


« Les batteries rechargeables constituent un enjeu économique et sociétal de premier ordre », observe Bogdan Petrescu. « Elles sont déjà présentes dans de nombreux appareils que nous utilisons quotidiennement et leur importance ne fait que se renforcer avec l’électrification progressive du parc automobile. De nombreux efforts sont ainsi déployés pour améliorer leurs performances, tout en essayant de réduire leur empreinte écologique. » À cette fin, de nouvelles voies sont explorées, à l’image des batteries sodium-ion, moins polluantes et plus durables. Une technologie représentant également un enjeu de souveraineté, dans la mesure où le sodium s’avère bien plus abondant que d’autres matériaux tels que le lithium, rare et coûteux.

Dès lors, comment optimiser les performances des batteries rechargeables, notamment leur durée de vie ? Un des fondements réside dans l’étude d’une zone bien particulière à l’intérieur de ces dispositifs. « Une batterie est composée de deux électrodes – l’anode et la cathode – et d’un électrolyte », explique Ozlem Sel. « Dès le premier cycle de charge et décharge, l’interface électrode-électrolyte voit la formation d’une couche appelée "interphase d’électrolyte solide", ou SEI (Solid Electrolyte Interphase), qui protège les électrodes de dégradations ultérieures. » Par conséquent, celle-ci joue un rôle fondamental dans la durée de vie d’une batterie rechargeable, qui doit être capable de supporter un grand nombre de cycles.

Schéma de l'interface électrode-électrolyte avec la présence de SEI

La SEI, clé de la compréhension des phénomènes électrochimiques


Néanmoins, la connaissance de la SEI et de ses mécanismes de formation demeure aujourd’hui limitée. Une lacune que les chercheurs souhaitent combler dans le cadre de cette collaboration. « L’instrument que nous allons développer permettra d’analyser plus finement les réactions électrochimiques à l’interface électrode-électrolyte », présente Bogdan Petrescu. « Pour cela, il s’appuiera sur une technique d’électrogravimétrie avancée, c’est-à-dire l’analyse d’une variation de masse à la suite d’une stimulation électrique. » Une approche réunissant les expertises complémentaires de BioLogic, du CSE et du LISE.

L’équipe de recherche focalisera son attention sur les batteries rechargeables sodium-ion. Il s’agira notamment de répondre à la question suivante : quel électrolyte utiliser pour optimiser le fonctionnement et la durée de vie d’un tel dispositif ? Plusieurs candidats seront ainsi testés : pour chacun, l’analyse de la SEI, à l’aide de l’instrument de mesure développé dans le cadre du partenariat, permettra de déterminer sa pertinence. « Nous allons également étudier la possibilité d’améliorer les matériaux au sein des électrodes, toujours en observant les réactions à l’interface avec l’électrolyte », ajoute Ozlem Sel. « Dans tous les cas, la mesure des caractéristiques de la SEI reste la clé de la compréhension des mécanismes électrochimiques aux interfaces, et donc de l’optimisation des performances de la batterie. »

Une batterie d’expérimentations et de modélisations


Pour mettre au point ce nouvel instrument, les chercheurs recourent à une démarche hybride, mêlant expérimentations et travail de modélisation des réactions électrochimiques. Deux méthodes complémentaires, qui s’autoalimentent en permanence. « Les résultats expérimentaux servent de base aux modélisations et, à l’inverse, les modèles réalisés permettent d’approfondir la connaissance des phénomènes électrochimiques, ce qui guide les expérimentations menées par la suite », indique Bogdan Petrescu. « Et, bien sûr, les expériences permettent de valider ou d’infirmer les hypothèses formulées lors des travaux de modélisation. »

Aujourd’hui, l’équipe de recherche s’approche d’un premier prototype fonctionnel, qui « sera prochainement testé sur des systèmes connus, afin de vérifier la pertinence des mesures effectuées », selon Bogdan Petrescu. Une étape indispensable avant de confronter le nouvel appareil aux résultats obtenus lors des modélisations et à des systèmes moins connus, comme les batteries rechargeables sodium-ion.