Une étude pour mesurer l’influence de la crise sanitaire sur la science

Institutionnel

Avec le projet CovETHOS, qui vient d’envoyer un questionnaire aux personnels du CNRS, le sociologue Michel Dubois et son équipe souhaitent étudier différents aspects de l'influence de la crise Covid-19 sur l'exercice du travail scientifique, des publications à l’intégrité, en passant par la communication.

Vous venez de diffuser un questionnaire aux personnels du CNRS. Dans quel but ?

Michel Dubois1  : Envoyé à la communauté CNRS, ce questionnaire est l’un des volets du projet CovETHOS, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) sur l’appel « recherche-action Covid-19 ». Depuis deux ans, on s’intéresse beaucoup à l’impact de la crise Covid-19 sur l’image publique des sciences. Avec ce projet, il s’agit de renverser la perspective et d’étudier l'influence de la crise Covid-19 sur la science elle-même : la vie de laboratoire, l'usage et l'évaluation des publications scientifiques, la production et l’exploitation des données, les règles et normes de l'intégrité scientifique ou encore la communication vers le grand public et les autorités publiques. Il est l’occasion de saisir l’étendue des adaptations, plus ou moins contraintes, provoquées par l’urgence sanitaire, dans la vie quotidienne des scientifiques. Les premières analyses de ce questionnaire devraient être disponibles en juin.

Il s’agit par ailleurs d’un projet dit de « recherche-action » car l’objectif à terme est de produire en collaboration avec des acteurs de terrain un ensemble de ressources (guides et supports pédagogiques) qui leur seront utiles pour enrichir et orienter leurs actions de formation, de communication et de sensibilisation.

Comment avez-vous préparé ce questionnaire ?

M. D. : Comme cela se pratique souvent en sciences sociales, la passation de notre questionnaire a été préparé en amont par un travail qualitatif conduit depuis près d’un an maintenant, grâce à six groupes de discussion et une cinquantaine d’entretiens de scientifiques. Le projet possède une dimension collaborative inédite en associant à l’enquête, outre les chercheurs et chercheuses, des membres du réseau national des référents intégrité scientifique (RESINT), la présidente actuelle de l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis) et des membres du Conseil français à l’intégrité scientifique (CoFIS). Ces partenaires ont été formé à l’exercice de l’enquête par groupe de discussion. Ils ont animé les groupes de discussion, afin de faire remonter les thématiques centrales pour les acteurs concernés, et ont été associés à la préparation du questionnaire. CovETHOS adopte donc un format de recherche participative original qui nous permet de renouveler nos pratiques.

Vous avez aussi mené de nombreux entretiens.

M. D. : En effet. Ces entretiens donnent des informations qualitatives très utiles. Nous avons par exemple interrogé des personnes à tous les niveaux d’un même laboratoire, du directeur au doctorant qui a commencé sa thèse pendant la crise, afin de faire apparaître les expériences des uns et des autres. En sont sorties quelques surprises, chacun ayant vécu des moments forts pendant le confinement et la crise sanitaire. Nous avons été frappé par l’importance du répertoire émotionnel mobilisé par les chercheurs et chercheuses. Leurs récits rendent compte de l’entremêlement des sentiments générés par la crise de la Covid-19, avec un spectre large allant de la colère face à l’inefficacité de certains dispositifs jusqu’à à la fierté d’une mobilisation rapide qui a permis de faire face à l’inconnu lors de la première séquence de la crise. Les chercheurs et les chercheuses ont été affectés par la crise comme tout le monde, avec en plus des enjeux éthiques et de protection du personnel, et nos entretiens leur ont parfois permis d’en parler longuement pour la première fois. Plus qu’un révélateur comme on l’entend souvent, la crise apparaît dans ces entretiens comme un moment réflexif de réévaluation du fonctionnement de la science, des mécanismes de régulation, voire des trajectoires professionnelles pour certaines personnes. Enfin, les capacités d’innovation et d’adaptation des scientifiques ressortent fortement, aux niveaux individuel comme collectif, certains laboratoires ayant complètement reconfiguré leur fonctionnement en un temps extrêmement court. Des articles scientifiques sont prévus à partir de l’exploitation de ces entretiens.

Votre enquête s’ouvre-t-elle au-delà du CNRS ?

M. D. : Oui, au fur et à mesure que l’enquête progresse, il nous paraît légitime de l’ouvrir à d’autres établissements de recherche. Des discussions sont d’ores et déjà en cours avec l’Inserm et le CEA qui sont intéressés pour diffuser le même questionnaire à leurs communautés. Cela nous permettrait d’atteindre une part plus importante du monde de la recherche française.

D’autre part, avec sept partenaires, notre groupe mènera à partir de septembre 2022 le projet européen POIESIS qui interroge l’impact des pratiques de recherche, en particulier l’intégrité et l’intégration de la société dans la recherche, sur la confiance qui est accordée à la science et à l’innovation. Nous explorons également le rôle des institutions dans la promotion d’une recherche responsable. Ce projet reproduira ce nouveau modèle de recherche en SHS, incluant des spécialistes de l’intégrité scientifique comme partenaires de production de la recherche, à l’échelle européenne.

  • 1Sociologue, Michel Dubois est directeur de recherche CNRS au sein du Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne (GEMASS, CNRS/Sorbonne Université) et coordinateur du projet CovETHOS.