Voiture autonome : le projet européen ERASMO fait travailler ensemble CNRS et industriels

Innovation

En rassemblant monde académique et partenaires industriels, le consortium ERASMO tire parti du système de positionnement européen Galileo. Il améliore sa précision et permet aux véhicules de reconnaître leur environnement pour circuler de manière complètement autonome. 

La voiture 100 % autonome est-elle possible ? Alors qu’en 2024, General Motors a annoncé l’arrêt de ses investissements dans le domaine et qu’Apple a mis fin à son programme Titan, on pourrait en douter. Malgré leur capacité d’investissement, ces groupes américains ont fini par jeter l’éponge face aux difficultés rencontrées dans le domaine. Pourtant, d’autres insistent, notamment par le biais de leur offre de robots taxis, comme les américains Waymo (Google), Zoox (Amazon) ou le chinois WeRide. Si l’Europe semble en retard, il existe pourtant des projets dédiés. C’est le cas d’ERASMO, un programme financé par l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial (EUSPA). 

Mais que vient faire une agence spécialisée dans le secteur spatial dans cette activité très terrestre ? « C’est elle qui gère le système GNSS (Global Navigation Satellite System) européen Galileo, décrypte Philippe Bonnifait, professeur à l’université de technologie de Compiègne et directeur de l’unité Heudiasyc (Heuristique et diagnostic des systèmes complexes, CNRS/UTC). Nous l’utilisons au sein de nos véhicules autonomes pour les guider sur les routes. »

Renault, constructeur privilégié 


Pour ce faire, Heudiasyc n’avance pas seul, le consortium implique ainsi plusieurs entreprises du secteur : le Groupe Renault en ce qui concerne les véhicules, mais aussi Idneo, GMV, Kudan et Septentrio pour les systèmes qui y sont embarqués. « Notre collaboration avec Heudiasyc remonte même à 2017 avec le laboratoire commun SIVALab, se souvient Javier Ibanez-Guzman, corporate expert chez Ampère, la filiale de Renault dédiée aux voitures électriques. Nous travaillons d’ailleurs avec plusieurs de leurs doctorants qui pourront devenir nos futurs ingénieurs. C’est grâce à cette collaboration que nous avons décidé de poursuivre nos travaux ensuite au sein d’ERASMO. »

« Nous avons amené les spécifications pour caractériser ce dont nous avions besoin. C’est ce qu’on appelle l’ODD (Operational Design Domain). Nous fournissons les cas d’usage qui définissent dans quels lieux et quelles conditions le véhicule va opérer, en l’occurrence en environnement urbain et péri-urbain. Nous avons aussi apporté des outils d’analyse des données collectées », détaille l’expert du constructeur français. « Le laboratoire a utilisé deux de ses Zoe expérimentales et a travaillé sur l’intégration de l’électronique et des logiciels embarqués », confirme Philippe Bonnifait. 

L'équipe du projet ERASMO avec le véhicule utilisé pour réaliser les jeux de données et faire l'intégration de l'OBU
© Heudyasic

L’environnement urbain ennemi des GNSS


Car les deux voitures en question sont équipées de capteurs beaucoup plus légers que ceux des robots taxis : un récepteur GNSS, trois caméras, un LIDAR, mais surtout un boîtier embarquant toute l’expertise de Heudiasyc et de ses partenaires. « Notre système OBU (On Board Unit) intègre à la fois matériel et logiciel. Une carte électronique permet à un logiciel de calculer en temps réel de manière très précise et surtout intègre, explique le chercheur. Ce concept d’intégrité vient de l’aviation civile. Il peut y avoir des pannes et des défauts sur les systèmes GNSS, il faut alors tout de suite les détecter et rejeter ces mesures aberrantes. »

Il est en effet beaucoup plus complexe de recevoir des informations GNSS fiables au niveau du sol, au milieu de bâtiments et de végétation qu’à celui d’un avion qui évolue dans un environnement complètement dégagé. « Les situations des bateaux en mer ou des tracteurs en plein champ sont moins complexes que celles d’une voiture en ville, confirme Philippe Bonnifait. Pour pallier cela, nous utilisons une cartographie haute définition. Nos algorithmes, basés sur de l’apprentissage profond, traitent les données remontées par les capteurs et permettent au véhicule de s’adapter à de nouveaux environnements. C’est le grand avantage de notre solution par rapport aux technologies des robots taxis existants : ils doivent d’abord énormément rouler dans leur zone d’évolution où la voiture apprend et crée la carte, mais dès qu’elle en sort, elle ne sait plus rouler. »

Pour parvenir à ce résultat, il faut cependant procéder en amont à une annotation manuelle des cartes pour identifier toutes leurs indications, « mais nous avons développé une méthode permettant d'effectuer des annotations automatiques sans faire intervenir d’humains. On vient de publier nos premiers résultats sur le sujet, ça pourrait être une technologie de rupture », se félicite le directeur de Heudiasyc. 

Le PPP-RTK comme progrès majeur


Mais l’autre avancée de taille vient du procédé PPP-RTK, un sigle barbare désignant le Precise Point Positionning Real Time Kinematic. « C’est un système qui permet de rendre les données de Galileo encore plus précises, s’enthousiasme Javier Ibanez-Guzman. Il nous a appris à valoriser ce que ce GNSS peut apporter, notamment sur la partie intégrité. Nous avons commencé à l’expérimenter chez Renault. » Pour bien comprendre cette technologie, il faut d’abord comprendre ce qu’est le simple RTK. Ce GNSS différentiel utilise des stations au sol et des capteurs dans le véhicule pour corriger les erreurs provenant des satellites pour atteindre une précision au centimètre. 

« Mais le RTK a le désavantage de nécessiter une connexion cellulaire permanente qui envoie un flux de données bidirectionnel sur les réseaux 4G et 5G, au risque de les saturer si le système venait à se généraliser avec beaucoup de véhicules, indique Philippe Bonnifait. C’est celui qui est utilisé par exemple par les robots taxis californiens. Le PPP-RTK n’a quant à lui plus besoin d’être en communication permanente avec un réseau et le flux de données est uniquement descendant. C’est une technologie qui passe à l’échelle. C’est conceptuellement assez proche du système HAS (High Accuracy Service) qui va exister dans Galileo. »

Améliorer la sécurité routière


Ces progrès constituent des bases de travail indispensable pour l’industrie : « C’est très important pour nous de travailler sur l’état de l’art. Ce partenariat académique permet d’obtenir des solutions basées sur la science et non pas l’ingénierie. On pose des problèmes que l’on rencontre et ça permet aux scientifiques de pouvoir appliquer leurs méthodes », se réjouit l’expert d’Ampère. 

Avec à terme des véhicules 100 % autonomes disponibles pour les particuliers ? « Nous n’en sommes pas encore là, notamment pour des questions de coût. Mais tout ce que l’on fait dans le cadre d’ERASMO est transmis pour développer de meilleurs véhicules, dotés dans un premier temps d’aides à la conduite fiables », se projette Javier Ibanez-Guzman. Une approche confirmée par Philippe Bonnifait : « Au final, le réel enjeu de cette discipline est la sécurité routière, on peut encore faire baisser le nombre d’environ 3 000 morts sur la route chaque année en France et aussi mieux protéger les vulnérables, comme cyclistes et les piétons ». 

Vos préférences en matière de cookies ne vous permettent pas de visualiser ce contenu depuis youtube

Démonstration de l'On Board Unit developpée dans le cadre du projet européen ERASMO

Audiodescription