Yvonne Choquet-Bruhat, première femme médaillée d’argent au CNRS

Institutionnel

Yvonne Choquet-Bruhat, mathématicienne et physicienne de renommée mondiale, a entretenu des relations significatives avec le CNRS tout au long de sa carrière. Bien que son parcours se soit principalement déroulé dans le milieu universitaire, le CNRS a joué un rôle clé à plusieurs étapes de son développement scientifique. 

De quelle manière l’excellence de vos travaux et la reconnaissance de la médaille d’argent du CNRS a changé votre vie de scientifique ? 

Recevoir la médaille d'argent du CNRS en 1958 a été un moment déterminant dans ma carrière scientifique. À cette époque, j'avais déjà fait des avancées significatives dans le domaine de la relativité générale, notamment en prouvant l'existence et l'unicité des solutions des équations d'Einstein. Cependant, cette distinction du CNRS a renforcé la visibilité de mes travaux et m'a permis de mieux m'intégrer dans la communauté scientifique française, qui restait encore assez conservatrice et dominée par les hommes. Cette reconnaissance n'a pas seulement validé mes recherches sur le plan scientifique, mais elle a aussi contribué à légitimer ma place en tant que femme scientifique dans un environnement où les femmes étaient encore peu présentes. Grâce à cette médaille, j'ai pu obtenir plus facilement des financements pour mes projets, attirer des étudiants et des collaborateurs talentueux, et accéder à des réseaux de recherche internationaux plus vastes. De plus, la médaille d'argent du CNRS m'a permis de renforcer mes liens avec l'institution elle-même. J'ai été invitée à participer à des commissions et à des comités du CNRS, ce qui m'a donné l'occasion d'influencer la direction de la recherche en physique théorique en France. Ces interactions ont enrichi mes propres recherches, tout en me permettant de contribuer au développement de la science au-delà de mes propres travaux. En somme, cette reconnaissance a non seulement consolidé ma carrière, mais elle m'a également donné la confiance nécessaire pour continuer à explorer des domaines encore inexplorés de la relativité générale et de la physique mathématique. 

Elle a été un véritable tremplin, non seulement pour mon développement personnel, mais aussi pour l'élargissement de mes contributions à la science. Par ailleurs, bien que le CNRS ait joué un rôle important dans ma carrière et que j'aie toujours respecté cette institution, il est vrai que j'ai également rencontré des difficultés au fil des années. L'une des principales sources de frustration a été la restructuration du CNRS, qui a affecté mon équipe de recherche. Cette réorganisation, qui visait à réduire le nombre d'équipes associées, a créé une incertitude quant à l'avenir de mon groupe pluridisciplinaire, notamment à l'approche de ma retraite. J'étais préoccupée par la possibilité que mon équipe soit dissoute, et il a été difficile de trouver un successeur qualifié en raison des nouvelles politiques en place. Cela a ajouté une pression supplémentaire à une période déjà complexe. J'ai également ressenti des tensions dans mes interactions avec certains collègues au sein du CNRS. Par exemple, j'ai eu des désaccords avec des physiciens qui critiquaient le travail des chercheurs qu'ils considéraient comme 'trop mathématiciens'. Ces frictions reflétaient parfois une certaine méconnaissance des apports cruciaux des mathématiques à la physique théorique, et il n'était pas toujours facile de défendre ces perspectives dans un environnement où les approches interdisciplinaires étaient encore sous-estimées. Enfin, je me souviens de la frustration liée à la répartition des locaux sur le campus Jussieu. Mon équipe a été dispersée à différents étages, tandis que d'autres avaient réussi à se réserver des espaces plus cohérents. Ce genre de détail, bien que mineur comparé à d'autres enjeux, illustre les petites difficultés du quotidien qui peuvent compliquer le travail d'une équipe scientifique. 

En somme, mes relations avec le CNRS ont été marquées par des réussites, mais aussi par des défis. Ces difficultés n'ont jamais remis en question ma passion pour la recherche, mais elles m'ont parfois obligé à naviguer dans des situations complexes et à trouver des solutions pour continuer à avancer.

La place des femmes dans les années 60, au sein de la communauté des mathématiciens était-elle simple à se faire ? à trouver ? 

La place des femmes dans les années 60 au sein de la communauté des mathématiciens, et plus largement des scientifiques, était loin d'être simple à se faire. À cette époque, les femmes étaient encore sous-représentées dans les sciences en général, et dans les mathématiques et la physique théorique en particulier. Il y avait peu de modèles féminins et les préjugés étaient omniprésents. Les femmes devaient non seulement prouver leur compétence scientifique, mais aussi surmonter des obstacles culturels et sociaux. Pour moi, entrer dans ce monde a été un défi constant. Bien que j'aie eu la chance de bénéficier du soutien de quelques mentors, comme André Lichnerowicz, et d'avoir des liens avec des institutions prestigieuses comme le CNRS, cela n'effaçait pas les préjugés que je pouvais rencontrer. Il y avait souvent une tendance à minimiser les contributions des femmes ou à les considérer comme des exceptions plutôt que des égales. Les discussions dans les commissions et les comités, que ce soit au CNRS ou ailleurs, n'étaient pas toujours faciles. Il fallait constamment prouver sa valeur. Cependant, malgré ces défis, je me suis efforcée de maintenir ma place et de faire reconnaître mes travaux. Je me souviens d'avoir travaillé avec des collègues qui, au départ, étaient sceptiques quant à mes capacités en raison de mon genre, mais qui ont fini par reconnaître la qualité de mes recherches. 

La reconnaissance de mes travaux, comme la médaille d'argent du CNRS, a certainement aidé à surmonter certaines barrières, mais il ne faut pas se méprendre : le chemin était semé d'embûches. C'était aussi une époque où il fallait souvent choisir entre une carrière scientifique et des responsabilités familiales. Pour moi, élever mes enfants tout en poursuivant mes recherches a été un équilibre difficile à trouver, mais je suis convaincue que cela a enrichi ma perspective et ma résilience. En fin de compte, ma passion pour les mathématiques et la physique a toujours été plus forte que les obstacles que je rencontrais. En résumé, se faire une place en tant que femme dans la communauté des mathématiciens dans les années 60 était un combat de tous les jours. 

Cela demandait de la persévérance, de la détermination, et une conviction profonde dans l'importance de ses travaux. Mais je crois que ces défis ont aussi contribué à renforcer ma détermination à poursuivre mes recherches et à ouvrir la voie pour les femmes qui viendraient après moi. Cependant, à dire vrai, mon expérience personnelle a plutôt été qu’être une femme reconnue dans un milieu composé majoritairement d’hommes à souvent été à mon avantage.

Yvonne Choquet-Bruhat sous le portrait de son père
Yvonne Choquet-Bruhat sous le portrait de son père. Crédits : Daniel Choquet.

Le regard porté par vos pairs sur votre travail a-t-il changé (suite à la médaille) ?  

Avant cette reconnaissance, bien que mes travaux sur les équations d'Einstein et la relativité générale aient déjà suscité de l'intérêt, ils étaient parfois perçus avec une certaine réserve. Non seulement parce que ces domaines étaient encore relativement nouveaux en France, mais aussi parce qu'il n'était pas courant, à l'époque, de voir une femme s'imposer dans un domaine aussi technique et exigeant que la physique mathématique. 

La médaille d'argent du CNRS a marqué un tournant en ce sens. Elle a donné à mes recherches une visibilité et une légitimité accrues, ce qui a changé la manière dont mes collègues et la communauté scientifique dans son ensemble percevaient mon travail. Elle a levé certains doutes et a facilité la reconnaissance de mes contributions à la relativité générale, en particulier mes preuves sur l'existence et l'unicité des solutions des équations d'Einstein. Cette distinction a également eu un impact sur les interactions au sein des institutions scientifiques. Par exemple, lors de mes participations aux commissions et comités du CNRS, j'ai ressenti une plus grande ouverture de la part de mes collègues, une volonté plus affirmée de prendre en compte mes avis et mes propositions. Le fait d'avoir été officiellement reconnue par une institution aussi prestigieuse a permis de dépasser certains préjugés et de m'intégrer plus pleinement dans les discussions scientifiques au plus haut niveau. Cependant, il est important de noter que cette reconnaissance n'a pas éliminé tous les obstacles. Bien que le regard de mes pairs se soit amélioré, il restait encore des résistances, souvent implicites, liées à mon statut de femme dans un domaine encore largement dominé par les hommes. Mais globalement, cette médaille a incontestablement renforcé ma position au sein de la communauté scientifique et m'a permis de poursuivre mes recherches avec une plus grande confiance et sérénité. En somme, la médaille d'argent du CNRS a été un facteur clé qui a changé la manière dont mes pairs percevaient mon travail, en lui conférant une reconnaissance et une légitimité qui m'ont ouvert de nouvelles portes et ont facilité la poursuite de ma carrière scientifique. 

En 1979 vous êtes la première femme élue à l'Académie des sciences française, le CNRS a-t-il contribué à la réussite de votre carrière ?

Ce fut une reconnaissance majeure de mes contributions à la science. Je dois dire que le CNRS a joué un rôle important dans cette réussite, en particulier au début de ma carrière. Mon parcours avec le CNRS a débuté dans les années 1940, lorsque j'ai intégré l'institution en tant qu'assistante de recherche. Le CNRS m'a fourni un cadre essentiel pour développer mes travaux en relativité générale sous la direction d'André Lichnerowicz. Cette période au CNRS a été cruciale pour l'avancement de mes recherches, car elle m'a permis de bénéficier de l'accès à des ressources scientifiques et à un réseau de chercheurs exceptionnels. C'est dans ce contexte que j'ai pu réaliser des avancées fondamentales sur les équations d'Einstein, qui allaient plus tard me valoir une reconnaissance internationale. Le soutien du CNRS ne s'est pas arrêté là. En 1958, j'ai reçu la médaille d'argent du CNRS, une distinction qui a renforcé ma visibilité et ma légitimité au sein de la communauté scientifique. Cette reconnaissance a certainement contribué à mon élection à l'Académie des sciences des années plus tard. Par ailleurs, tout au long de ma carrière, j'ai continué à collaborer avec des chercheurs du CNRS et à participer à des comités et commissions au sein de l'institution. 

Ces interactions ont non seulement enrichi mon travail, mais elles m'ont également permis de contribuer à l'évolution de la recherche en France. Bien sûr, ma carrière s'est également développée au sein des universités, en particulier à l'Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC), où j'ai travaillé pendant de nombreuses années. Mais le CNRS a toujours été un partenaire important dans mon parcours scientifique, en m'offrant des opportunités de recherche, de collaboration et de reconnaissance qui ont été déterminantes pour ma réussite. 

En somme, le CNRS a joué un rôle de soutien indispensable à divers moments de ma carrière. Sans cet appui initial et continu, il aurait été plus difficile pour moi de mener à bien mes recherches et d'obtenir la reconnaissance qui a culminé avec mon élection à l'Académie des sciences. Je considère donc le CNRS comme un allié précieux dans ma trajectoire scientifique.

Les médailles au CNRS

Tous les ans depuis sa création en 1954, la médaille d'or distingue l'ensemble des travaux d'une ou plusieurs personnalités scientifiques ayant contribué de manière exceptionnelle au dynamisme et au rayonnement de la recherche française.

Créée la même année, la médaille d’argent distingue des chercheurs et des chercheuses pour l’originalité, la qualité et l’importance de leurs travaux, reconnus sur le plan national et international.

Également lancée en 1954, la médaille de bronze récompense les premiers travaux consacrant des chercheurs et des chercheuses spécialistes de leur domaine. Cette distinction représente un encouragement du CNRS à poursuivre des recherches bien engagées et déjà fécondes.

Pour sa part créée en 1992, la médaille de cristal distingue des femmes et des hommes, personnels d’appui à la recherche, qui par leur créativité, leur maîtrise technique et leur sens de l’innovation, contribuent aux côtés des chercheurs et des chercheuses à l’avancée des savoirs et à l’excellence de la recherche française.

Créée en 2011, la médaille de l’innovation honore des femmes et des hommes, dont les recherches exceptionnelles ont conduit à une innovation marquante sur le plan technologique, thérapeutique ou social, valorisant la recherche scientifique française.

Depuis 2018, le cristal collectif distingue des équipes de femmes et d’hommes, personnels d’appui à la recherche, ayant mené des projets dont la maîtrise technique, la dimension collective, les applications, l’innovation et le rayonnement sont particulièrement remarquables. Cette distinction est décernée dans deux catégories : « appui direct à la recherche » et « accompagnement de la recherche ».

Enfin, depuis 2021, le CNRS décerne la médaille de la médiation scientifique à des femmes et des hommes qui ont mis en place une action ponctuelle ou un dispositif pérenne de médiation à destination du grand public, mais aussi de scolaires, d’étudiants, de décideurs ou d’industriels.