Appel lancé pour une fondation privée face aux crises

Institutionnel

Soixante-seize scientifiques européens ont signé un texte dans la revue Nature, demandant la création d’une fondation privée dédiée aux urgences sanitaires et écologiques, financée par des philanthropes à hauteur de vingt milliards d’euros.

Alors que le virus est toujours actif, de nombreux scientifiques s’interrogent sur les écueils rencontrés pendant la crise du COVID-19. Non seulement cette épidémie ne sera certainement pas la dernière, mais le rythme de telles catastrophes devrait s’accentuer avec le changement climatique. Dans l’espoir de mieux répondre à ces urgences, un collectif de soixante-seize chercheurs a publié un appel1 pour la construction d’une fondation européenne pour la prévention des crises environnementales et sanitaires, dotée d’un copieux budget de 20 milliards d’euros.

L’idée a germé au mois de mai au sein d’un groupe de scientifiques, inquiets des replis nationaux observés alors que le COVID-19 se propageait en Europe et dans le monde. Si l’Allemagne, moins touchée, a par exemple pris en charge des patients de l’est de la France, la crise a été marquée par la fermeture des frontières et des conflits pour accaparer des stocks de masques et autres fournitures médicales.

Francis-André Wollman est un des premiers signataires. Directeur de recherche émérite au laboratoire BPM2 et membre de l’Académie des sciences, il explique « qu’avec une fondation inspirée de celles de Warren Buffett, Bill et Melinda Gates, nous aurions la force de frappe pour être plus réactifs et souples face aux problèmes environnementaux et sanitaires ».

Difficile en effet de ne pas regarder vers la fameuse fondation Bill et Melinda Gates, et ses cinquante milliards de dollars. Bien placée, cette somme génère un important fonds de roulement et alimente de nombreux projets liés à l’éducation, l’agriculture, l’accès à l’eau, à l’hygiène... Il n’existe cependant aucun équivalent sur le vieux continent. À cause de différences économiques, culturelles, fiscales et sur la conception du rôle de l’État, la philanthropie individuelle représente 1,5 % du PIB aux États-Unis, contre seulement 0,2 % dans l’Union européenne.

Le fonds européen ne rêve pas de dépasser la fondation Bill et Melinda Gates, mais vise tout de même la somme colossale de 20 milliards d’euros, justifiée par une certaine masse critique à atteindre afin de fonctionner sans avoir à être régulièrement renfloué. Ce n’est pas pour autant un montant irréaliste, que l’on peut comparer au plan de 7,4 milliards d’euros annoncé par la Commission européenne et dédiée à la quête d’un vaccin contre le SARS-COV-2.

Pas question cependant d’entrer en concurrence avec les instances internationales. « Les États et l’UE sont chargés de la sécurité des citoyens, » insiste Francis André Wollman. « Une fondation ne peut agir que de façon complémentaire, sans penser à les doubler ou être en concurrence. » Cet investissement ne doit pas non plus se faire au détriment de la justice fiscale, car la recherche publique est bien évidemment tributaire des impôts.

Stefan Jansson, professeur au département de physiologie des plantes à l’université d’Umeå, a rejoint l’équipe et lui sert de relais en Suède. « Nous avons besoin de programmes comme Horizon H2020, explique le scientifique, mais l’organisation actuelle de la recherche européenne implique qu'il faut lui consacrer beaucoup de temps. » Les systèmes d'appels à projets permettent de financer des missions ambitieuses au long cours, mais, selon Stefan Jansson, une fondation offrirait non seulement plus de souplesse, mais n’aurait aucune contrepartie négative.

Reste bien entendu à amadouer de riches mécènes, une tâche loin d’être simple. Pour porter leur proposition-choc, les chercheurs se sont tournés vers la plus prestigieuse des revues scientifiques européennes : Nature. Les signataires espèrent susciter un élan de diffusion et d’intérêt auprès du public, avant de commencer à démarcher de potentiels grands donateurs. Afin de les convaincre, les signataires établissent un cahier des charges pour mieux orienter et expliquer les actions prévues. Les chercheurs insistent sur le caractère transdisciplinaire et transversal du projet, dans l’optique d’une Europe plus solidaire.

Une approche essentielle selon Roberto Bassi, professeur à l’université de Vérone (Italie) en physiologie des plantes. Son domaine de recherche est particulièrement exposé au changement climatique et aux épidémies, ce qui lui a permis de constater à de nombreuses reprises la nécessité de mobiliser toutes les disciplines et les talents face aux crises.

« L’Europe dispose de beaucoup d’instituts de recherche biomédicale, très spécialisés et efficaces sur des missions de long terme, » souligne Roberto Bassi. « Ils sont cependant pensés pour fonctionner sur des projets d’au moins cinq ans et manquent de souplesse. La région de Milan, pourtant un des phares européens dans le domaine biomédical, a été dramatiquement frappée par l’épidémie. Une situation qui a montré que la médecine ne parvient pas toujours à concevoir les enjeux environnementaux d’une crise. Traiter séparément les problèmes écologiques et sanitaires ne marche pas. »

Il prend également en exemple une autre crise survenue en Italie : la prolifération de la Xylella fastidiosa. Cette bactérie importée des États-Unis, via les Pays-Bas, dévaste en effet les cultures d’oliviers du sud de l’Italie, où l’huile est une des principales ressources économiques. « Plus on dérange la nature et les êtres vivants circulent, plus ces crises vont être fréquentes, » prévient Roberto Bassi. « Il ne suffit pas de traiter chaque problème de façon spécifique, on doit pouvoir monitorer les relations environnementales entre les humains, les plantes, les animaux, les champignons, les bactéries et les virus. »

Une fondation européenne dédiée aux urgences sanitaires et écologiques serait donc un précieux outil supplémentaire pour faire face aux défis à venir. L’appel est lancé, reste à ce qu’il soit entendu.

  • 1https://europe-foundation.eu/
  • 2Biologie du chloroplaste et perception de la lumière chez les microalgues (CNRS/Sorbonne Université).