Quantique : un nouveau réseau France-Canada

Institutionnel

Impulsé par le CNRS, un réseau international en sciences et technologies quantiques sera officiellement lancé au 1er janvier 2023 avec 16 universités françaises et canadiennes.

« Il y a tellement de scientifiques français avec lesquels je souhaite travailler ! La France dispose d’une très bonne expertise dans le domaine de l’ordinateur quantique. », s’enthousiasme Barry Sanders, chercheur à l’Université de Calgary, dans l’ouest du Canada. Il est l’un des quatre coordinateurs scientifiques du nouvel International Research Network (IRN) franco-canadien en sciences et technologies quantiques impulsé par le CNRS. « Et notre travail au Canada complète bien ce qui est fait en France : l’IRN met en lumière de vraies synergies sur lesquelles s’appuyer. », continue-t-il.

Carte de France et du Canada avec les 16 universités indiquées et des rayons les reliant en réseau
L'International Research Network impulsé par le CNRS compte à ce jour 16 universités, dont huit canadiennes et huit françaises.

Matériaux, simulations, calculs et algorithmes, communications, capteurs quantiques… Avec sa stratégie nationale d’accélération, la France travaille sur tous les piliers des technologies quantiques, « avec un focus sur la transition allant de la science fondamentale – une des forces reconnues du CNRS – jusqu’aux applications, avec de nombreuses start-up issues de laboratoires dont le CNRS est tutelle », détaille Sébastien Tanzilli, directeur adjoint scientifique à l’Institut de physique du CNRS et co-pilote pour le CNRS du PEPR Quantique1 . Selon lui, « nombreuses sont donc les concordances avec les lignes de recherche et la stratégie canadiennes ». Annoncée en 2021, avec un budget de 360 millions de dollars sur sept ans – et s’appuyant sur des investissements déjà conséquents entre 2009 et 2020 –, cette dernière vient d’obtenir des financements supplémentaires de la part du gouvernement pour investir dans les mêmes piliers scientifiques et technologiques. La création du réseau franco-canadien se positionne ainsi comme exemple de synergies de recherche possibles à plus grande échelle entre les deux pays.

Des intérêts communs

Le Canada se présente aussi comme un partenaire de tout premier choix. En Europe, le Flagship Quantique2  « permet déjà de développer des projets ambitieux communs avec les pays partenaires ». Au-delà, la recherche en sciences et technologies quantiques est surtout importante au Japon et à Singapour – pays avec lesquels le CNRS a déjà des laboratoires conjoints (International Research Laboratories3  - IRL) sur le sujet –, en Chine, en Australie, aux États-Unis et au Canada. « Si l’IRN quantique couvre tout le territoire canadien, le Québec francophone représentait un point d’entrée naturel pour la France, la politique de R&D académique étant similaire dans les deux pays, simplifiant les questions de propriétés intellectuelles et de souveraineté nationale », assure Sébastien Tanzilli. La start-up Pasqal, issue du Laboratoire Charles Fabry4 , a également ouvert récemment un bureau à Sherbrooke au Québec, ce qui prouve l’intérêt du Canada pour les compétences françaises, et inversement.

Le réseau quantique représente ainsi l’évolution naturelle des collaborations entre les deux pays, déjà nombreuses et « gagnantes-gagnantes », selon Isabelle Philip, directrice de recherche CNRS au Laboratoire Charles Coulomb5  et coordinatrice scientifique du réseau côté France. L’« indubitable succès » qu’est le Laboratoire Frontières quantiques (LFQ), un IRL basé à Sherbrooke (voir encadré), le montre bien. « Il y a au Canada des compétences que l’on ne retrouve pas en France, et inversement », confirme le second coordinateur scientifique de l’IRN pour la France, Marco Aprili, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique des solides6 . Pour ces deux scientifiques, la « relation de confiance » qui unit ces communautés permet des « échanges constructifs qui font avancer la science ».

  • 1Les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) sont une action du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA4).
  • 2Le Flagship Quantique est un programme de recherche européen d’un milliard d’euros sur 10 ans lancé en 2018, dans lequel la participation du CNRS est très élevée.
  • 3Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 4CNRS/IOGS.
  • 5CNRS/Université de Montpellier.
  • 6CNRS/Université Paris-Saclay.

Un laboratoire international modèle pour le réseau

Créé en janvier 2022, le Laboratoire Frontières quantiques (LFQ) est un International Research Laboratory (IRL) du CNRS et de l’Université de Sherbrooke au Canada, centré sur les matériaux et les circuits quantiques, et leur utilisation dans des technologies quantiques, comme l’ordinateur quantique mais aussi des capteurs par exemple. Il fait suite à 40 ans de collaboration entre laboratoires français et québécois sur le sujet, s’appuyant sur la complémentarité des dispositifs de mesure expérimentaux et de calculs entre les deux pays. « L’IRL est un très bel exemple de collaboration réussie, les communautés se nourrissant l’une l’autre », indique Marco Aprili, citant les workshops et les échanges de scientifiques et surtout d’étudiants et d’étudiantes en thèse en cotutelle. Ce laboratoire commun a ainsi une « valeur ajoutée formidable » pour ces derniers, qui « gagnent en expertise en se nourrissant de groupes avec des cultures scientifiques et des réseaux différents », selon Louis Taillefer, directeur du LFQ. « Le réseau France-Canada est né de l’envie d’élargir ce bon exemple à d’autres acteurs pour soutenir de nouvelles collaborations », assure Marco Aprili.

Officiellement lancé le premier janvier prochain, le réseau est accompagné par le CNRS et implique à ce jour 16 universités7 , huit dans chaque pays, toutes actrices majeures, comme l’organisme, du domaine quantique. En plus des quatre coordinateurs scientifiques qui ont une vision nationale respective, des représentants des scientifiques locaux ont été désignés sur chaque campus afin d’assurer le lien avec les communautés dans chaque établissement membre. Ouvert aussi vers le secteur économique, l’IRN a vocation à associer tous les acteurs français et canadiens qui collaborent ou souhaitent collaborer sur le sujet.

Un focus sur les jeunes scientifiques

« L’originalité de notre IRN est de s’appuyer sur des campus universitaires, là où un IRN classique repose sur des laboratoires », explique Isabelle Philip. Une spécificité qui prend tout son sens lorsque l’on s’intéresse à la fois au domaine et aux missions du réseau. Au-delà de la consolidation et de la dynamisation de la recherche, il vise à fluidifier les échanges d’étudiants et étudiantes, dès le master. « En impliquant les campus universitaires, nous espérons parvenir à simplifier l’aspect administratif de ces échanges, notamment la prise en compte des différences structurelles des formations universitaires dans les deux pays », souligne Marco Aprili. Les coordinateurs souhaitent ainsi « préparer et renforcer le tissu collaboratif entre la France et le Canada pour les chercheurs et chercheuses de demain ».

Des thèses voire des post-docs en co-supervision ou co-direction pourront donc être mis en place. « La prochaine génération de scientifiques aura besoin des expertises qui sont aujourd’hui développées dans les laboratoires français et canadiens : il est donc important d’attirer les étudiants vers ce domaine et de les inclure au plus tôt dans les collaborations internationales », corrobore Louis Taillefer, professeur au LFQ à Sherbrooke et quatrième coordinateur scientifique formant le comité exécutif de l’IRN.

Le réseau franco-canadien pourra aussi faciliter le financement des séjours plus ou moins longs pour les chercheurs et enseignants-chercheurs, et relaiera les offres de mobilités et autres initiatives nationales dans lesquelles les thématiques quantiques peuvent s’inscrire. Il disposera ainsi de financements d’animation pour « souder la communauté » avant de proposer des projets communs aux autres dispositifs de financement.

Faire germer des collaborations

« Il y a toujours de grands bénéfices aux collaborations internationales, à commencer par la diversité d’expertises complémentaires qu’elles permettent de réunir », assure Louis Taillefer. Par exemple, son domaine d’expertise exige des approches théoriques inédites cultivées à Paris, des mesures dans de hauts champs magnétiques dont sont spécialistes les équipes françaises, mais aussi une grande expertise dans les mesures à très basses températures, disponible à Sherbrooke.

Mur de tuyaux orange et câbles bleus et jaunes sur la droite d'une pièce tout en longueur parfaitement propre et blanche
Les champs magnétiques intenses obtenus au Laboratoire national des champs magnétiques intenses de Toulouse (LNCMI) nécessitent des équipements complexes. © Sébastien CHASTANET /LNCMI/CNRS Photothèque

« Connecter la France et le Canada dans notre domaine permettra notamment de faciliter l’accès aux grandes infrastructures de premier plan dont dispose la France, pour les communautés canadiennes qui n’ont pas d’instruments de ce niveau », salue également le chercheur, citant les « outils très puissants » que sont l’ESRF, le synchrotron Soleil8  ou encore la plateforme hébergée au Laboratoire national des champs magnétiques intenses9 .

Les contours des sujets qui seront abordés par l’IRN seront donc à construire de manière conjointe par les acteurs impliqués. Pour cela, des workshops annuels seront organisés en France et au Canada. L’occasion aussi de créer des connexions à l’interface de sous-domaines qui n’ont pas l’habitude de côtoyer les mêmes conférences, ouvrant la voie à des approches inédites « fructueuses ». Le premier rendez-vous aura lieu du 22 au 24 mai 2023 à Paris et donnera « en priorité mais pas seulement » la parole aux scientifiques travaillant sur des thématiques susceptibles de donner lieu à de nouvelles collaborations transatlantiques. « L’idée est de renforcer les collaborations existantes mais surtout d’apprendre à se connaître et de faciliter la création de liens », traduit Isabelle Philip.

  • 7Côté France : Université Grenoble-Alpes, Université de Bordeaux, Université Côte d’Azur, Université de Montpellier, Sorbonne Université, Université Paris-Saclay, Université Paris Cité, PSL Université. Côté Canada : Université de Sherbrooke, Université de Montréal, University of Calgary, McMaster University, University of Ottawa, University of British Columbia, University of Toronto, University of Waterloo.
  • 8CNRS.
  • 9LNCMI (CNRS), à Toulouse et Grenoble.