Comprendre les pôles et les glaciers pour mieux les protéger

Institutionnel

Du 8 au 10 novembre à Paris, scientifiques, diplomates et politiques ont discuté, lors du One Planet Polar Summit, des moyens de mieux connaître pôles et glaciers pour davantage les préserver. Un domaine de recherche et d’action auquel le CNRS participe pleinement.

« La cryosphère est la sentinelle, le canari dans la mine de charbon, des crises du climat et de la biodiversité ». Ainsi Antje Boetius, co-présidente du comité scientifique derrière le One Planet Polar Summit, conclut-elle ce premier sommet international, voulu par Emmanuel Macron, président de la République française, consacré aux pôles et aux glaciers. Dans la lignée du One Ocean Summit en 2022, les scientifiques, originaires de 35 pays de par le monde, ont établi, après deux jours de travaux au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, un consensus autour des menaces qui pèsent sur la cryosphère à l’heure des changements globaux. Lors du troisième et dernier jour, les représentants politiques l’ont repris dans un Appel de Paris pour les pôles et les glaciers. Son constat est sans appel : pour protéger la cryosphère, il faut d’abord mieux la connaître et donc maintenir et financer davantage la recherche.

Des problèmes locaux aux conséquences globales

Mais que représente au juste cette cryosphère1 ? Bien qu’elle ne couvre que 10 % de la surface de la Terre, elle dispose d’une une influence considérable sur le climat global. D’une part, car elle abrite les trois quarts de l’eau douce présente sur Terre, ce qui fait qu’un milliard de personnes dépendraient de l’eau qui provient de la fonte des neiges et des glaciers. Et, d’autre part, parce que la neige, et dans une moindre mesure la glace, ont un effet albédo2 important : surfaces blanches, elles reflètent une grande partie du rayonnement solaire. Par conséquent, comme l’énonce l’Appel de Paris, officiellement lancé par Emmanuel Macron le 10 novembre, les zones englacées, qui « abritent des peuples autochtones, des populations et des écosystèmes uniques, font partie des zones les plus touchées par la crise climatique, avec des répercussions sur le reste de la planète ». Parmi ces répercussions, figurent la montée des eaux, le dégel du pergélisol et la libération de bactéries enfouies depuis des millions d’années, des catastrophes naturelles dans les régions montagneuses, etc. Et ce, même loin de tout pôle ou glacier, comme en témoigne LaToya Cantrell, maire de La Nouvelle-Orléans, ville située à une centaine de kilomètres de l’océan Atlantique : « Si rien n’est fait pour contrer la montée des eaux, La Nouvelle-Orléans deviendra une ville côtière d’ici cinquante ans ».

Ce sommet avait ainsi pour ambition de renouveler et renforcer les collaborations internationales sur la cryosphère, en particulier avec la Russie, qui abrite à elle seule la moitié du pergélisol terrestre mais avec qui les relations sont gelées depuis son invasion de l’Ukraine en 2022. Il s’agissait également d’en diversifier les acteurs : outre les pays polaires ou impliqués de longue date dans l’étude de ces régions, furent ainsi conviés des pays de haute altitude – comme le Népal et le Pérou – ou fortement menacés par la montée des eaux – telle l’Inde. Par ailleurs, les scientifiques ont convenu qu’il fallait modifier leurs pratiques de recherche : en plus de réduire l’empreinte environnementale de ces dernières dans ces régions menacées, l’Appel de Paris invite à inclure les communautés locales et les peuples autochtones dans la production de connaissances. En somme, comme l’énoncent d’une même voix Antje Boetius et Jérôme Chapellaz, directeur de recherche au CNRS et co-président du comité scientifique, « les sciences de la cryosphère appellent à une gouvernance mondiale » car leurs enjeux dépassent les seules zones englacées.

De fait, pour protéger durablement la cryosphère, ledit Appel, déjà signé par une trentaine de pays, envisage des solutions globales. Respecter les Accords de Paris pour demeurer en-deçà des 1.5 °C d’augmentation de la température par rapport à l’ère préindustrielle ; protéger, d’ici 2030, 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures, ainsi que des zones marines et côtières au niveau mondial, et restaurer 30 % des eaux terrestres et intérieures et des écosystèmes marins et côtiers dégradés comme l’a prévu en 2022 le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming – Montréal ; ou encore restreindre les impacts du tourisme dans les régions glaciaires et polaires. 

  • 1La cryosphère représente l’ensemble formé par les régions de la surface de la Terre où l’eau est à l’état solide : immenses inlandsis de l’Antarctique et du Groenland, glace de mer en Arctique et Océan austral, manteau neigeux, glaciers de montagne, et pergélisol.
  • 2L’albédo représente la capacité d'une surface à réfléchir l'énergie solaire.
Photo de famille des représentants politiques au One Planet Polar Summit
Photo de famille des représentants politiques au One Planet Polar Summit© One Planet Summit

Articuler recherche et politiques publiques

L’organisation de ce sommet par la France tient notamment à la force de sa recherche polaire, à laquelle le CNRS participe grandement. Le pays compte en effet parmi les dix premières nations quant au nombre de publications sur l’Arctique et l’Antarctique, dont 70 à 80 % d’entre elles impliquent des scientifiques du CNRS. L’établissement est de fait un opérateur majeur de la recherche polaire (voir encadré) et décline son investissement dans tous les domaines d’étude du système Terre, depuis les sciences du climat et de l’environnement, de l’écologie et de la biologie jusqu’aux sciences humaines et sociales. Il développe de l’instrumentation autonome, coordonne ou participe à de grandes campagnes océanographiques et contribue à l’effort de surveillance sur le long terme fourni par des réseaux de mouillages distribués dans l’océan Arctique ou via la Zone atelier Antarctique et Terres Australes.

Le CNRS, acteur majeur de la recherche sur les pôles et milieux englacés

Outre l’engagement de ses personnels et unités (voir chiffres-clés), le CNRS est un actionnaire majeur de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor. Il contribue également à la collaboration scientifique mondiale sur les pôles, en promouvant les grands enjeux de recherche polaire dans les organisations européennes (European Polar Board) et internationales (comme l’International Arctic Science Committee et le Scientific Committee on Antarctic Research) ou en participant à des dispositifs institutionnels à l’étranger, tels l’Observatoire Hommes-Milieux International Nunavik et au laboratoire de recherche international Takuvik, tous deux au Québec.

Cette présence du CNRS dans les pôles, Philippe Hoest l’observe au quotidien. Depuis qu’il a été nommé chef du district de Kerguelen en août 2023, cet ingénieur de recherche en biosécurité au CNRS actuellement en détachement constate que son établissement d’origine participe à la majorité de la vingtaine de programmes scientifiques qui se déroulent sur l’archipel durant l’été austral, de novembre à février. Du fait de son interdisciplinarité, le CNRS y couvre un « vaste spectre scientifique », recoupant océanographie, écologie, ornithologie, microbiologie, sciences atmosphériques ou encore géologie. Le chef de district accueille toutes ces équipes scientifiques sur la base de Port-aux-Français et s’efforce de « leur assurer les meilleures conditions de travail possibles dans l’environnement isolé » que constitue la région subpolaire.

Dans la lignée de la stratégie polaire française d’ici 2030 publiée l’an dernier, le président annonça le doublement du budget de la recherche polaire, qui atteindra un milliard d’euros d’ici 2030 ; la construction d’un nouveau navire français à capacité glace, le Michel Rocard, sillonnant le Pacifique Ouest et l’Antarctique Est ; la reconstruction dès 2026 de la station Dumont-d’Urville sur la péninsule antarctique et la rénovation ultérieure de la station franco-italienne Concordia.

En plus d’être consolidée, la recherche française sur la cryosphère doit mieux s’articuler aux politiques publiques car, comme le résume Françoise Gaille, biologiste marine et porteuse du Panel international pour la durabilité de l’océan, « il ne s’agit plus tant de comprendre les causes [de ce dérèglement] que d’en anticiper les conséquences ». C’est précisément l’objectif de l’Alliance des villes et régions côtières, qui prend la suite de la précédente initiative Sea’Ties. Cette coalition promeut le partage de connaissances, la coopération entre collectivités et la mobilisation de financements, afin de faciliter l’élaboration de politiques publiques et la mise en œuvre de solutions d’adaptation pour les villes et régions côtières exposées à l’élévation du niveau de la mer. L’enjeu est de taille : d’ici 2050, plus d’un milliard d’humains, concentrés dans ces territoires, feront face à des risques aggravés liés à ce phénomène.

Marquage au nid d'un cormoran de Kerguelen, "Phalacrocorax verrocosus", dans la colonie de Sourcil noir
Marquage au nid d'un cormoran de Kerguelen, "Phalacrocorax verrocosus", dans la colonie de Sourcil noir© Yohann CHARBONNIER/CEBC/CNRS Images

Kerguelen, un laboratoire à ciel ouvert

Principal district des Terres australes et antarctiques françaises, Kerguelen concentre en outre le plus grand nombre d’activités scientifiques, tant l’été que l’hiver. Pour Philippe Hoest, cela s’explique par le « laboratoire à ciel ouvert » que représente l’archipel, « l’un des derniers endroits au monde dotés de populations massives d’animaux sauvages » – oiseaux et mammifères au premier chef.

Le caractère sauvage de Kerguelen provient de la position géographique de l’archipel, situé à 3 000 km de La Réunion, terre habitée la plus proche, « très loin de toute activité humaine susceptible d’interférer avec les résultats scientifiques ». Cet isolement en fait aussi un bon observatoire des changements globaux d’origine humaine. Comme le dit le chef du district, on peut se faire à Kerguelen une bonne idée de « l’impact planétaire de l’activité humaine quand celle-ci est très faible sur place ».

Au terme du One Planet Polar Summit, les regards se tournent vers Nice, qui accueillera en juin 2025 la troisième Conférence des Nations Unies sur l'Océan, organisée conjointement par la France et le Costa Rica. Car la fonte de la cryosphère risque de peser plus lourd qu’une goutte d’eau dans le vase qu’est l’océan. 

Antje Boetius et Jérôme Chapellaz remettent le rapport scientifique au président de la République française Emmanuel Macron
Antje Boetius et Jérôme Chapellaz remettent le rapport scientifique au président de la République française Emmanuel Macron© One Planet Summit
10% des UMR du CNRS impliquées
Plus de 250 personnels scientifiques statutaires
Plus de 600 publiants actifs sur les 10 dernières années dans le domaine du polaire
70 à 80% des publications françaises sur les pôles

Une nouvelle fondation sous égide du CNRS dédiée à la cryosphère

En parallèle du One Planet Polar Summit, l'homme d'affaires suédois Frederik Paulsen, à la tête de Ferring Pharmaceuticals et membre du Club des explorateurs de New York, a lancé officiellement le 8 novembre la Fondation Albédo pour la cryosphère qu’il a fondée, sous l’égide de la Fondation du CNRS.

Dotée d’un financement de départ de 10 millions d'euros, la Fondation se donne pour mission "de soutenir financièrement des programmes scientifiques d’intérêt français et francophone, tant au niveau national qu’au niveau international, ayant trait à la cryosphère et en particulier aux régions polaires Nord et Sud ou aux zones de très haute altitude". L’une de ses ambitions consiste à "mobiliser tous les publics, ce qui signifie les engager et les motiver pour qu’ils participent activement à la cause de la Fondation".

Cette nouvelle fondation sous égide rejoint ainsi les trois autres consacrées aux océans :

  • La Fondation 1 Ocean a pour mission de soutenir le projet « 1 Ocean, le grand témoignage sur l’Océan », projet d’exploration mené avec l’UNESCO à l'occasion de la Décennie des Nations Unies pour les Océans (2021-2030).
  • L'Ocean Sustainability Foundation - portée par la biologiste marine Françoise Gaill - a pour missions de soutenir les actions liées à la protection des milieux marins et océaniques, et en particulier l’initiative IPOS
  • La Fondation Science4Reefs a pour mission de soutenir les travaux de recherche sur les récifs coralliens et de favoriser les interactions entre les scientifiques concernés et des acteurs issus du monde politique, industriel, social et culturel.