Heat Coffee, la chaire industrielle RTE/ANR aux enjeux économiques, environnementaux et de souveraineté nationale
Ce projet de recherche lancé le 3 octobre dernier porte sur l’évaluation de l’intégrité des fondations en béton des pylônes électriques du réseau de transport de l’électricité (RTE).
En France, la plupart des fondations en béton des pylônes électriques ont été construites et installées au début du XXe siècle, pour partie après la Seconde Guerre Mondiale. Bien souvent, elles sont inaccessibles et leurs dimensions et caractéristiques ne sont pas toujours connues. D’une durée de vie de 70 à 80 ans, ces fondations sont soumises au vieillissement du béton, à ses pathologies et aux événements climatiques. En effet, lors des tempêtes qui ont balayé la France en 1999, près de 1 000 pylônes électriques ont été détruits ou endommagés, 8 000 km de lignes ont été indisponibles, privant trois millions et demi de foyers d'électricité.
De fait, RTE, qui pilote le réseau de transport d’électricité, se doit de sécuriser et d’optimiser la durabilité des infrastructures. Quelques chiffres : le réseau de RTE comporte 105 970 km de lignes aériennes, d’âge moyen de l'ordre de 50 ans ; cela représente 270 000 supports, pylônes et fondations, et quelques 400 000 km de conducteurs aériens ou câbles de garde, avec des espérances de vie au-delà de 85 ans. On comprend l’ampleur du sujet.
Des enjeux pour RTE et au-delà, pour la France
Les enjeux du gestionnaire de transport sont multiples : assurer la gestion des actifs via la planification des renouvellements ou la prolongation d’utilisation des composants des liaisons aériennes ; réduire l’impact environnemental en favorisant la durabilité des infrastructures électriques ; maîtriser le coût financier, sachant que le remplacement des pylônes est estimé à 2,7 milliards d’euros.
Au-delà d’une problématique propre à RTE, l’intégrité des fondations en béton des infrastructures électriques répond à des enjeux sociétaux, économiques, environnementaux et de souveraineté à l’échelle nationale. L’actualité internationale prouve, s’il en était besoin, le rôle stratégique de l’énergie dans les conflits internationaux.
Un programme en 4 ans autour de trois axes de recherche
La Chaire industrielle, créée pour une durée de 4 ans, dotée de 2 M€ financés à parts égales par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et RTE. Elle associe RTE au CNRS, à l’ENS Paris-Saclay et à Centrale Supélec via le Laboratoire de Mécanique Paris-Saclay[1] et le laboratoire Systèmes et Applications des Technologies de l'Information et de l'Energie[2]. Heat Coffee - pour HEalth evAluaTion of COncrete Fundation For ElEctricity transport - c’est son nom, avec un clin d’oeil aux fortes températures qui dégradent le béton. Depuis le 2 juin 2023, une large équipe de quelque vingt chercheurs, 9 étudiants en thèse et 5 post-doctorants travaillent en collaboration avec 7 personnes dédiées à la Chaire et les experts métiers de RTE sur la problématique de l’évaluation de l’intégrité des fondations en béton des liaisons aériennes du réseau de transport de l’électricité.
Les travaux de recherche menés sur le site de l’ENS Paris Saclay sont orchestrés en trois groupes de travail. « Le premier axe de recherche consiste à sonder le sol et le béton - via des mesures par radar - afin d’avoir accès à l’état initial de la structure pour vérifier si elle contient de la porosité et des fissures susceptibles d’impacter sa résistance mécanique. Le deuxième axe de travaux vise à mesurer l’évolution des dégradations et déduire leur impact sur l’intégrité de la structure. Les chercheurs reproduisent sur des maquettes un vieillissement accéléré – 2 mois équivalent à 50 ans – et mènent des essais au tomographe à rayons X pour déterminer les modes de dégradation et de rupture grâce à l’imagerie 3D. Enfin, le troisième axe de recherche porte sur les structures réelles. Grâce à des capteurs et à la technologie des jumeaux numériques, il est possible de relier le mode de vibration des pylônes à un état de dégradation des fondations en béton », explique avec enthousiasme Farid Benboudjema, professeur au département d'enseignement et de recherche Génie Civil et Environnement à l’ENS Paris-Saclay et coordinateur de la chaire industrielle. L’équipe de recherche s’appuiera sur la cartographie détaillée des sols en France réalisée par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) pour « élaborer des outils d’aide à la décision pour les fondations en béton existantes », précise le chercheur. Avec ce programme, RTE se dote d’une véritable cartographie des risques relatifs à ses infrastructures électriques, détaillée selon la nature des sols, du type de béton, de la géométrie des structures et du climat. Une étape déterminante pour agir ensuite sur l’ensemble du parc.
Une Chaire au service du Bien commun
« Le partenariat RTE/ENS Paris Saclay a commencé par des contrats postdoctoraux avec le Centre Borelli qui a construit la Chaire de Recherche et d’enseignement PhLAMES en impliquant les autres laboratoires de recherche. Ce mouvement a favorisé la création de la chaire Heat Coffee », analyse Fikri Hafid, Responsable d’études R&D chez RTE, professeur associé à l’ENS Paris-Saclay. Pour le coordinateur technique de la chaire pour RTE, « ce type de partenariat entre un industriel et des laboratoires sous tutelle du CNRS sur un sujet industriel, d’utilité publique, financé par l’argent public, contribue à l’attractivité de la recherche. A l’avenir, ces collaborations pourraient intéresser de nombreux chercheurs, doctorants et étudiants, soucieux de mettre leurs savoirs en matière de recherche fondamentale au service du bien commun. Pour un chercheur, rejoindre un projet de R&D industriel, c’est entrer dans un terrain de jeu où bien souvent la pluridisciplinarité est la règle ». Fikri Hafid ajoute : « nos outils de modélisation et de simulation sont en open source. L’objectif est que nos méthodologies et nos recherches servent à tous, dans une logique de communs ».
Gageons que les travaux menés au sein de la Chaire industrielle Heat Coffee, qui font rimer défi industriel et innovation scientifique, intéresseront de nombreux gestionnaires de transport à l’échelle européenne et internationale. Et plus largement, d’autres gestionnaires d’infrastructures dans les domaines routier ou ferroviaire, intéressés au même titre par la question des fondations.