En route vers des pneus plus vertueux avec BioDLab
Le laboratoire commun BioDLab doit contribuer à réduire l’impact environnemental des pneumatiques. Il réunit des experts de l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand et de Michelin. Leur objectif : développer des solutions techniques pour faciliter la biodégradation des particules d’usure des pneumatiques générées lors du contact avec la route.
Qu’il s’agisse de pneus hiver, été ou 4 saisons, il est impossible de prédire leur durée de vie. Cette dernière dépend de leur composition, du type de véhicule, de la météorologie, de l’état de la route et surtout, de la conduite adoptée par l’automobiliste. Toutefois, à la longue, tous les pneus se détériorent. En particulier, le contact avec la route érode la matière et génère des particules d’usure dans l’environnement. Mais combien de temps y restent-elles ? « Avant nos travaux communs, il n’existait pas de recherche complète sur des particules d’usure prélevées dans l’environnement. La demi-vie de ces particules est désormais estimée à 16 mois, mais nous ne comprenons pas finement ce qui se passe », explique Séverin Dronet, ingénieur de recherche chez Michelin.
Réduire leur impact environnemental est un défi scientifique de grande ampleur. Cela requiert d’abord de comprendre comment ces résidus se détériorent dans la nature, sous l’action du soleil notamment et des microorganismes qui peuplent les bords de route. Il sera ensuite possible d’agir sur la composition des pneumatiques. C’est en tout cas l’objectif du laboratoire commun BioDLab entre le CNRS, l’université Clermont-Auvergne (via l’Institut de chimie de Clermont-Ferrand – ICCF) et Michelin.
Du bas-côté au tube à essai
Depuis 2020, l’ICCF et Michelin collaborent sur les particules d’usure de pneumatiques et leur biodégradabilité par des microorganismes. « Travailler avec Michelin stimule et concrétise nos recherches sur un problème environnemental et sociétal important », témoigne Pascale Besse-Hoggan, directrice de recherche CNRS et responsable de BioDLab pour l’ICCF. Pour commencer, les partenaires se sont attaqués à des échantillons de particules d’usure prélevés sur des véhicules parcourant les circuits Michelin. Cependant, ils ont rapidement été confrontés à leur complexité. « Ces derniers contenaient des particules d’usure issues des pneus et de la route, mais aussi des composants de l’environnement routier et bien d’autres choses. Au total, nous avons trouvé plus de 1 000 composants différents », souligne Séverin Dronet.
En réponse, les partenaires se sont armés de nouvelles compétences en plus de la microbiologie et de la science des matériaux : la photo-dégradation, la thermo-dégradation et la dégradation par les enzymes. Trois contrats de recherche plus tard, le BioDLab voit le jour afin de faciliter une dynamique entre ces expertises complémentaires. « Ce laboratoire commun, nous apporte une ouverture et un regard différent sur nos problématiques et nos méthodes usuelles d’analyse de cycle de vie et de performance du produit. Il nous offre l’accès à un écosystème d’expertises en sciences de l’environnement que nous n’avons pas en interne », rapporte Séverin Dronet. Au total, une trentaine de personnes sont impliquées dans ce partenariat, dont neuf nouvellement recrutées en thèse ou en post-doctorat.
Expérimentations : du plus simple au plus compliqué
La recherche menée dans le cadre du BioDLab est avant tout expérimentale. L’idée est de complexifier progressivement la composition du matériau d’étude. Autrement dit, commencer par l’élastomère au cœur du pneu, puis ajouter les différents additifs. Une stratégie qui fait écho aux conditions de dégradation étudiées qui commencent par la dégradation abiotique (photo et thermo), suivie de l’étude de la biodégradation par différents microorganismes ou enzymes séparément, avant d’aboutir à des mélanges de plus en plus complexes. Cette approche aidera ainsi à identifier les éléments du pneu les plus difficiles à dégrader et les espèces impliquées dans la décomposition de la matière. À terme, les analyses se rapprocheront peu à peu d’un matériau et de conditions environnementales réels.
Et en pratique, cela donne quoi ? « Les microorganismes proviennent de souchothèques - des collections de souches microbiennes pures identifiées et issues des différents compartiments de l’environnement. Ils sont aussi prélevés sur des sites historiquement en contact avec ce genre de matériaux comme les bassins de rétention ou les bords d’autoroutes, des stocks de pneus utilisés en agriculture, etc. », explique Pascale Besse-Hoggan. Une collaboration avec le Génoscope - centre national sur le séquençage - permet également d’étudier le rôle d’enzymes dégradant la matière. La modélisation servira dans un second temps à l’étude fine des mécanismes mis en jeu. L’ensemble de ces connaissances servira finalement à la compréhension des mécanismes sous forme de voies enzymatiques ou métaboliques de biodégradation.
Des pneumatiques à l’impact environnemental réduit
Les résultats obtenus alimenteront directement les futures formulations chimiques des pneus développés par Michelin pour réduire la durée de vie des particules d’usure dans la nature. Il s’agira d’un maillon de plus dans l’équation de la conception de pneumatique. Celle-ci mêle déjà des contraintes de performance, d’adhérence pour la sécurité et de résistance aux roulements qui impacte la consommation de carburant du véhicule. « Il nous faudra des solutions qui ne dégradent pas l’analyse de cycle de vie initiale du pneu, tout en améliorant la fin de vie dans l’environnement du matériau », précise l’ingénieur de Michelin.
Toutefois, cet objectif dépasse la temporalité du laboratoire commun. Au cours des quatre prochaines années, le BioDLab vise surtout à produire des connaissances, des publications scientifiques et des brevets potentiels sur des voies de biodégradation. Côté recherche, les méthodes développées sur les élastomères ne lui seront pas spécifiques. « L’idée est qu’elles servent à l’étude d’autres matériaux polymères, par exemple, dans le cadre de nos travaux sur la biodégradabilité au sens large », précise Pascale Besse-Hoggan. Enfin, ces recherches apporteront de nouveaux savoirs en vue d’une future réglementation quant à la quantité de particules émises par les pneumatiques en général.