« La recherche française a beaucoup à gagner d’une collaboration forte avec l’Inde »

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Une délégation du CNRS, menée par son président-directeur général Antoine Petit, se rend en Inde pour échanger avec ses principaux partenaires sur le terrain.  L’occasion de faire le point sur la recherche indienne et ses nombreuses collaborations avec le CNRS.

Avec bientôt 1,4 milliards d’habitants (dont 50 % a moins de 30 ans), l’Inde vient de dépasser la Chine pour devenir le pays le plus peuplé du monde. Elle devrait être la deuxième économie du G20 en termes de croissance (2022-231 ).  « Avec une croissance rapide et un pays qui se trouve à la sixième place des puissances économiques mondiales, la science aura un rôle important à jouer en Inde », indique Antoine Petit, PDG du CNRS, qui visitera, avec de nombreux directeurs d’instituts de l’organisme, plusieurs hauts lieux de la science indienne à partir du 16 février.

Une recherche présente au sein de nombreux ministères indiens

Même si la part du PIB indien investie dans la science reste faible – 0,7 % -, la forte croissance du pays le positionne comme un acteur stratégique de la recherche mondiale à terme. La recherche publique en Inde est une prérogative du gouvernement central et s’organise principalement autour du Ministère pour la Science et la Technologie et du Ministère des Sciences de la Terre. Mais, pour autant, chaque ministère dispose de départements, auxquels sont rattachés des instituts, centres et établissements spécialisés de recherche. Par exemple, le Ministère pour la Science et la Technologie a trois départements clés : le Département des sciences et de la technologie avec 20 institutions autonomes menant des activités de recherche et innovation ; le Département de biotechnologie avec le Conseil de recherche et d'innovation en biotechnologie comprenant 14 instituts de R&D ; et la Direction de la recherche scientifique et industrielle (DSIR), avec le Conseil de la recherche scientifique et industrielle (CSIR) regroupant 38 instituts de recherche industrielle.

  • 1https://www.oecd.org/economy/india-economic-snapshot/

Une autre histoire de l’Inde racontée par ses photos

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« Il existe de nombreux autres ministères qui régissent et mettent en œuvre des programmes de recherche liés respectivement à la santé, à l'espace, à la défense, au textile, à l'énergie atomique, à l'informatique, à l'industrie, à l'énergie pétrolière, aux énergies renouvelables, au développement des ressources humaines (établissements universitaires et universités techniques). », explique N. Kalaiselvi, le Secrétaire DSIR, GoI et Directrice Générale du CSIR. « Tous ces ministères contribuent au développement de pans de la science indienne et le premier ministre a directement sous son contrôle le département de l’Énergie atomique. », ajoute Srini Kaveri, directeur du Bureau Inde du CNRS à New Dehli depuis 2015, qui célèbre cette année ses 12 ans.

Particularité du système indien de la recherche, les institutions académiques relevant du Ministère de l’Éducation, comme les Indian Institutes of Technology (IIT), sont des participants actifs dans l'écosystème de la recherche. Côté université, il en existe actuellement plus de mille – pour seulement une vingtaine en 1947, date de l’indépendance de l’Inde. Sur ces mille universités, quasiment la moitié sont privées. « Pour certains de ces établissements, les infrastructures manquent encore… Et si ces nombreuses universités répondent aux enjeux de forte densité de la population, la recherche fondamentale est réalisée dans les instituts publics avec les IIT, dans lesquels il existe une qualité de recherche exceptionnelle. », rajoute Srini Kaveri.

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L'International Research Laboratory ReLaX, situé à Chennai, est dédié à la recherche en informatique théorique, ses applications et ses interactions avec les mathématiques. © CMI

La « pharmacie du monde » est aussi un leader en mathématiques et informatique

L'Inde mise sur des domaines du futur tels que le quantique, les technologies de communication avancée, la transformation numérique, alors que la recherche indienne est particulièrement efficace en mathématiques et informatique. Le pays s’est notamment donné pour objectif de devenir une économie numérique de 1000 milliards de dollars d’ici 2025. Mais il mise également sur l’énergie propre – par exemple l’hydrogène vert1  – pour répondre aux enjeux de sa large population, ou encore sur la santé, notamment contre les maladies infectieuses ou la résistance aux antibiotiques, un problème mondial. L’Inde est également très réputée pour sa capacité de production de vaccins, alors qu’elle a administré plus de deux milliards de doses contre le Covid-19 et en a exportées près de 75 millions dans 94 pays. Le gouvernement a également lancé le One Health Project qui pense la santé dans son environnement entier, partant de la population en passant par les animaux, l’agriculture, les sols et terres, etc.

« L'innovation, la résilience et l'adaptabilité sont, selon moi, les principaux atouts et spécificités de la recherche indienne qui ont donné au pays, entre autre, ce surnom : la ‘pharmacie du monde’. » souligne N. Kalaiselvi alors que l’Inde se positionne à la cinquième place mondiale en termes de publications scientifiques, et à la 7e en dépôt de brevets avec 70 000 start-up actives, 335 incubateurs, 130 licornes2 , actives principalement dans le domaine des logiciels informatiques et des produits pharmaceutiques, équivalent à un montant de 535 milliards de dollars.

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L'équipe permanente de l'Institut français de Pondichéry, l'une des deux UMIFRE du CNRS en Inde © IFP/CNRS

Les collaborations franco-indiennes : des ‘success stories’

Si de par son histoire l’Inde est très proche de la recherche britannique et plus largement de la recherche états-unienne, les relations franco-indiennes se sont développées sous le mandat du Président Giscard d’Estaing (1974-1981), au cours duquel est notamment née l’idée de l’Indo-French Centre for the Promotion of Advanced Research (CEFIPRA)3  une structure franco-indienne qui finance la coopération scientifique entre les deux pays. Née en 1987 à New Delhi, le CEFIPRA « est un outil dont nous pouvons être fier qui a permis le soutien de 580 projets de recherche, facilité 170 workshops en France et en Inde, la mobilité de 4000 étudiants et scientifiques, et donné lieu à 3000 publications. », insiste Srini Kaveri.

Antoine Petit assistera d’ailleurs à deux workshops CEFIPRA parmi lesquels celui de l’enseignant-chercheur du laboratoire Xlim4 , Jean-Christophe Nallatamby. Ce dernier organise un workshop de trois jours du 20 au 22 février 2023 en collaboration avec le Indian Institute of Technology (IIT) Madras sur les composants et systèmes microondes portant sur la fabrication, la caractérisation et modélisation ainsi que dans le domaine de la photonique. « La rencontre se déroulera sur deux jours de présentations et une journée de table ronde et de visite du laboratoire de IITM. Elle nous permettra d’échanger sur des collaborations potentielles à développer avec les scientifiques en Inde. Côté français, seize personnels dont 4 industriels français et 12 académiques y participent. », explique Jean-Christophe Nallatamby dont le workshop s’appuie sur l’International Research Project (IRP) MEGATRON.

Et si le CNRS compte bientôt trois International Research Laboratories (IRL)5  – la création du 3e IRL, Scal(e)S (voir encadré) sera officiellement annoncée à Bangalore le 20 février –, deux unités mixtes des instituts français de recherche à l'étranger (UMIFRE)6  – le Centre de sciences humaines et l’Institut français de Pondichéry (voir encadré) travaillant sur la société indienne et son environnement –, et de nombreux projets de recherche en Inde, il existe plusieurs ‘success stories’ résultant des collaborations franco-indiennes. Par exemple, la cellule en science de l’eau de Bangalore spécialisée en hydrologie, modélisation, biochimie et géologie, qui fait ses preuves depuis de nombreuses années et s’est imposée en leader sur le domaine. L’IRL Indo-French Center for Applied Mathematics, qui subventionne plusieurs projets à la frontière des mathématiques appliquées, de l’informatique et de l’ingénierie, est aussi un symbole de succès. Quant à l’IRL Research Lab in Computer Science (ReLaX) – qui sera renouvelé lors de ce déplacement –, cela fait 25 ans qu’il permet la mobilité franco-indienne de doctorants et post-doctorants (voir encadré). « Il existe une sensibilisation croissante des Français à la compétence indienne. Cela est de bon augure alors que la recherche française a beaucoup à gagner d’une collaboration forte avec l’Inde, et réciproquement. », conclut Antoine Petit.

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Créé en 1955, l’Institut français de Pondichéry est l’une des plus grandes UMIFRE existantes. © IFP

 

  • 1L'hydrogène vert est fabriqué à partir d'eau et d'électricité issue d'énergies renouvelables, permettant d'obtenir une empreinte carbone nulle.
  • 2Dans le monde des startups, le terme de licorne désigne les entreprises valorisées à plus de 1 milliard de dollars.
  • 3Les projets de recherche collaborative conjointe dans toutes les disciplines scientifiques, constituent son principal outil de soutien aux coopérations franco-indiennes. Le CEFIPRA est codirigé et financé (budget de 3 millions d’euros) côté indien par le DST et côté français par le MEAE.
  • 4CNRS/Université de Limoges.
  • 5Indo French Centre for Applied Mathematics (IFCAM)/Indo French Research Laboratory in Computer Science (RELAX).
  • 6Les Unités mixtes des instituts français de recherche à l'étranger sont des unités dirigées par le CNRS et le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères.

L'IRL ReLaX

« RelaX est dédié à la recherche en informatique théorique, ses applications et ses interactions avec les mathématiques. », explique Madhavan Mukund, directeur de l’IRL et directeur du Chennai Mathematical Institute. ReLaX tient d’ailleurs ses origines d’un projet CEFIPRA – entre le Chennai Mathematical Institute et le Centre Inria Sophia Antipolis – qui, au fur et à mesure des années et des collaborations (28 au total), s’est transformé en un réseau de recherche puis en International Research Project pour devenir un IRL. « Le laboratoire soutient les visites de chercheurs et chercheuses, et l’organisation de workshops en France ou en Inde, nous accueillons des professeurs sur plusieurs mois et soutenons l’échange étudiant. À terme, nous souhaiterions nous tourner davantage vers les entreprises pour des collaborations, alors que beaucoup d’entreprises françaises sont présentes sur place. »

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L'IRL ReLaX permet la mobilité franco-indienne de doctorants et post-doctorants depuis 25 ans. © ReLaX/CMI

 

L'IRL Scal(e)S

Le tout nouvel IRL Scal(e)S, Self-organisation and control in biological systems, qui devrait être ouvert d'ici la fin de l'année, vise à démêler les mécanismes de la matière et des organismes vivants, et plus particulièrement les caractéristiques complexes qui soutiennent leurs fonctions physiologiques. Il mettra en œuvre des projets interdisciplinaires pour étudier comment les systèmes biologiques s'organisent dynamiquement à travers les échelles, des molécules aux ensembles cellulaires dans les colonies bactériennes, les tissus et les embryons. Scal(e)S a pour objectif de nourrir la recherche collaborative au sein d'un consortium de partenaires basés au National Center for Biological Sciences de Bangalore en Inde, et au Turing Center for Living Systems à Marseille. « Nous prévoyons de favoriser les interactions à travers l'organisation de workshops annuels à Bangalore et Marseille, des échanges d'étudiants et de postdocs. Le résultat attendu de cet IRL est le lancement de nouveaux projets où l'ensemble des différentes expertises apportera de nouvelles réponses à la question de l'émergence des formes biologiques à travers les échelles spatiales et temporelles. », rapporte Thomas Lecuit, directeur de l’IRL.

L’Institut français de Pondichéry

Créé en 1955, l’Institut français de Pondichéry est l’une des plus grandes UMIFRE1  existante et la seule à développer des recherches ne se limitant pas aux sciences sociales alors qu’elle regroupe quatre départements : l’indologie (avec l’étude de textes anciens, etc.), l’écologie (palynologie, botanique, écosystèmes forestiers), les études socio-économiques et historiques de l’Inde contemporaine (dynamiques urbaines, migrations, santé, gestion de l’eau…), et la géomatique (systèmes d’information géographique, modélisation spatiale, vulnérabilité et risques environnementaux). Composé d’une équipe de 80 à 100 personnes – ce qui varie selon le nombre de projets hébergés, dont la grande majorité est de nationalité indienne, et niché au cœur d’un palais du XVIIIème siècle au style colonial, l’institut ne passe pas inaperçu. « Il accueille une dizaine chercheurs français (CNRS, IRD, détachés au MAE, CIRAD, etc.) pour une durée de 2 à 4 ans, explique Blandine Ripert, directrice de l’UMIFRE. Mais il accueille également des délégations pour 2 ou 3 mois. Au total ce sont une vingtaine de chercheuses et chercheurs CNRS qui passe chaque année à l’Institut français de Pondichéry. » Avec une cinquantaine de projets menés en parallèle, l’institut est porté par son équipe indienne permanente qui permet de soutenir les collaborations et d’obtenir les autorisations gouvernementales. « Notre département d’écologie spécialisé en dynamique des forêts et botanique a, par le passé, cartographié le couvert végétal de l’Inde du sud. », rapporte Blandine Ripert. Aujourd’hui, de plus en plus de projets se font à l’interface des quatre départements de l’UMIFRE et les recherches menées s’appuient sur des collections, parfois conjointes avec l’EFEO – 8500 manuscrits, 28 000 feuilles d’herbier, la plus grande collection tropicale de pollen en Asie et 160 000 photos. « Nous travaillons à mieux conserver ces collections, nous avons ainsi rénové en profondeur la photothèque dont l’inauguration se fera en présence d’Antoine Petit ce 17 février. Nous prévoyons de rénover également la salle des manuscrits. ». Actuellement, les projets menés à l’UMIFRE portent notamment sur les questions de santé avec par exemple de nouveaux projets sur la pollution de l’air, sur l’antibiorésistance en santé humaine, animale et environnementale, ou encore l’agroécologie et l’alimentation, mais aussi – en matière d’écologie et de développement – sur l’espace côtier de l’océan Indien ou la caractérisation de la biodiversité et l’impact du climat sur la forêt indienne. 

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L'Institut français de Pondichéry inaugurera sa nouvelle photothèque, qui met notamment en avant sa fabuleuse collection de manuscrits, en présence d’Antoine Petit le 17 février. © IFP

 

  • 1Le réseau des Unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger comprend 27 centres de recherche répartis, avec leurs antennes, dans près de 40 pays sur tous les continents. Ces instituts de recherche sont placés sous la cotutelle du ministère français chargé des Affaires étrangères et du CNRS.