Les salles blanches au CNRS : concilier recherche de pointe et impact carbone
Après sept ans de travaux, le LAAS-CNRS a vu la fin des longs travaux de rénovation de sa salle blanche. Un chantier illustrant la façon dont deux laboratoires du CNRS s’efforcent, depuis plusieurs années, de réduire la consommation énergétique de leurs salles blanches sans altérer la qualité de la recherche.
Quoique très lumineuses, elles demeurent dans l’ombre des produits qu’on y fabrique : médicaments, composants à semi-conducteurs, engins spatiaux… Ces salles, dites « blanches » ou « propres », permettent la fabrication de dispositifs ou de produits de pointe, utiles aussi bien à la science qu’à l’industrie, à l’instar des semi-conducteurs, de médicaments ou de composants automobiles et aéronautiques. Autant de technologies exigeant des niveaux élevés de propreté de l’air soufflé et de stabilité de sa température et de son hygrométrie, que l’on obtient grâce à la filtration, à la climatisation de l’air, et au maintien de la pression des locaux à un niveau stable et précis. Or, le maintien constant de ces paramètres exige des équipements à forte intensité énergétique : humidificateurs et sécheurs d’air, extracteurs, filtration absolue, etc. De sorte que les salles blanches représentent, pour les laboratoires qui en possèdent une, leur principale source de consommation énergétique, ce qui impacte d’autant leur bilan de gaz à effet de serre. Dès lors, est-il possible, comme le CNRS l’a inscrit dans son plan de transition environnementale, de continuer à mener une recherche de pointe tout en diminuant la consommation énergétique des salles blanches ? C’est le pari qu’ont relevé, chacun à leur manière, deux laboratoires hébergés par le CNRS.
Au LAAS-CNRS : rénover les infrastructures
Entre 2018 et 2023, grâce à l’appui du CNRS et de financements de l’État, le Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes (LAAS-CNRS)[1], une unité toulousaine de plus de 700 membres spécialisée dans l’étude de systèmes complexes comme la robotique, les transports ou les réseaux de communication, s’est lancé dans de vastes travaux de rénovation énergétique de sa salle blanche, vieille d’une vingtaine d’années et représentant 80 % de sa consommation électrique pour à peine 7 % de sa surface. Hugues Granier, responsable de la plateforme de micro et nanotechnologies, revient sur la genèse de la démarche : « Au moment de sa construction, entre 2005 et 2007, notre salle blanche ne bénéficiait pas des mêmes considérations énergétiques et notre laboratoire s’était résolu à des choix techniques très gourmands en énergie. Notre objectif était par conséquent de remettre au niveau des standards actuels une conception d’il y a vingt ans, d’où des économies très impressionnantes ». De fait, notamment grâce à la pose de panneaux photovoltaïques et de registres modulants sur les systèmes de ventilation, à l’installation d’un système de récupération de chaleur et à une meilleure supervision de ses dépenses énergétiques, le LAAS-CNRS peut se targuer d’avoir réduit de 76 % sa consommation de gaz et de 37 % sa consommation électrique (en 2023 par rapport à 2017). Par ces seules mesures, le LAAS-CNRS a presque atteint, avec une quinzaine d’années d’avance, le premier objectif du décret tertiaire, une obligation règlementaire de l’État qui impose, depuis 2023, la réduction progressive des consommations d’énergie finale de l’ensemble du parc tertiaire d’au moins 50 % en 2040.
Une baisse particulièrement bienvenue au moment où le cours de l’électricité connaissait une inflation spectaculaire : le retour sur investissement de ces travaux à 2 millions d’euros s’est fait en à peine deux ans au lieu des cinq ans envisagés dans un premier temps. Cette diminution énergétique remarquable s’accompagne d’une diminution similaire de l’impact carbone du LAAS-CNRS, le gaz étant trois fois plus émetteur de gaz à effet de serre que l’électricité en France.
Désormais, le LAAS-CNRS ambitionne de s’atteler aux usages mêmes en salle blanche, car, comme le souligne Hugues Granier : « On peut toujours améliorer l’infrastructure, mais le process est ce qui consomme le plus aujourd’hui ». De fait, depuis septembre 2024, la salle blanche a progressivement relevé le seuil de tolérance de ses paramètres de température et d’hygrométrie en-dehors des heures d’utilisation pour les rétablir au moment de la reprise d’activité, évaluant à chaque fois si ces modifications impactaient ou non la qualité des expériences scientifiques. Chaque degré compte : selon l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, un degré de plus ou de moins équivaut à 7 % de consommation énergétique.
Au C2N : consommer juste ce qu’il faut
Repenser les usages en salle blanche, c’est ce à quoi s’est attelé le Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N)1 sur le plateau de Saclay, fort de presque 400 personnels. Directrice de recherche au CNRS au sein du laboratoire et depuis peu référente développement durable, Sophie Bouchoule s’est retrouvée à la tête de la rénovation énergétique de sa salle blanche. Cynthia Vallerand, secrétaire générale du laboratoire, explique comment, « étant chargée de mission de coordination scientifique de la centrale de technologie et en tant qu’utilisatrice, Sophie Bouchoule était au premier rang pour constater les dysfonctionnements non résolus du bâtiment et leur impact sur la recherche. Le directeur d’unité, Giancarlo Faini, et moi-même avons alors proposé à Sophie Bouchoule, au regard de son professionnalisme, de nous accompagner dans l’atterrissage opérationnel du bâtiment qui s’est terminé fin 2022. Suite à cette mission réussie, la direction lui a naturellement proposée d’être la référente développement durable pour analyser les pertes énergétiques et mettre en œuvre des solutions d’optimisation de consommation énergétique ».
Sophie Bouchoule détaille l’analyse à laquelle elle procéda à la réception du bâtiment : « En 2018, le bâtiment venait d’être livré et souffrait de plusieurs défauts. Nous avions donc décidé d’enquêter pour comprendre l’origine des dysfonctionnements. C’est dans ce cadre que nous nous sommes rendus compte, en tant qu’utilisateurs finaux, de l’énergie colossale nécessaire pour faire fonctionner la salle blanche. La conception de notre bâtiment datait d'une petite dizaine d'années ; mais en 2021, sa consommation paraissait très grande ! Une fois que nous savions, nous ne pouvions pas laisser les choses en l’état ». Un groupe de travail, conduit par Sophie Bouchoule, spécialiste des émetteurs optiques à semiconducteurs, et Aristide Lemaître, médaille d’argent du CNRS en 2024 pour ses travaux sur les semi-conducteurs, se met alors à questionner les pratiques en salle blanche, avec en ligne de mire, un credo : « Consommer juste ce qu’il faut ». Pour ce faire, le groupe s’appuie sur une batterie de capteurs connectés. Pour Aristide Lemaître, directeur de recherche au CNRS et autre référent développement durable du C2N, « le nerf de la guerre, c’est la mesure ».
Armé de données précises, le collectif parvient ainsi à identifier finement les postes et pratiques les plus énergivores. Ainsi, l’optimisation des paramètres de fonctionnement d’un échangeur mis en service entre les réseaux de froid et chaud permettant de récupérer la chaleur fatale a réduit de 75 % la consommation de gaz de l’unité depuis 2022, réduisant significativement l’impact carbone du bâtiment. Sophie Bouchoule en tire une évidence : « Quand un site produit à la fois de l’eau chaude et de l’eau froide, installer un échangeur s’avère très rentable ».
En parallèle, une partie de la salle blanche, dont le traitement de l’air représente 42 % des 12 GWh de consommation électrique totale annuelle, bascule en mode réduit. Celui-ci consiste à réduire le débit de soufflage d’air neuf ou recyclé et à élargir la tolérance autour des consignes de température et d’hygrométrie relative dans les salles lors des périodes d’inoccupation de la salle, de 20 h à 6 h en semaine et tous les weekends. Dès la mise en place du mode réduit, on observe une réduction d’un peu plus de 20 % de la puissance électrique totale consommée par le bâtiment, soit une économie annuelle de près de 1,4 GWh. Et, ceci, sans altérer la qualité de la recherche en salle blanche. Ceci tient, pour Sophie Bouchoule, au fait que « les taux de brassage d’air fixant les classes de propreté théoriques[3] sont parfois surdimensionnées par rapport aux usages, en particulier en période d’inoccupation, qu’il faut par conséquent accepter d’en revisiter les normes ». Grâce au soutien de l’appel à initiatives CNRS Bas Carbone 2023– le C2N a étendu le mode réduit à une partie de la climatisation des laboratoires, opération rentabilisée en moins d’un an. Début 2025, le C2N, accompagné par le service technique et logistique de la délégation régionale Île-de-France Sud et grâce au soutien du CNRS et de l’État, engagera des travaux plus importants d’amélioration de la performance énergétique du bâtiment incluant l’extension du mode réduit.
[1] Unité propre de recherche CNRS associée à l’Insa Toulouse / Toulouse INP / Université Toulouse-III Paul-Sabatier.
[2] CNRS / Université Paris-Saclay.
[3] La classification d'une salle blanche dépend de la propreté de l'air à l'intérieur de la salle. Plus la concentration de particules est faible, plus la classification de la salle blanche est élevée.
- 1CNRS / Université Paris-Saclay.
Vers une juste consommation des ressources au C2N
En parallèle de sa réduction de consommation de gaz et d’électricité, le C2N questionne la consommation des ressources en salle blanche. C’est le cas de l’eau de ville, dont la consommation a été réduite de 75% en un an à peine par la mise en service d’un circuit fermé d’eau de refroidissement – essentielle pour les équipements –, mais aussi de l’hélium.
Ce liquide cryogénique permet de réaliser des expériences à 4,2K (-269°C) essentielles pour la recherche en physique quantique, chimie moléculaire ou encore en médecine. Or, l’extraction de l’hélium du sous-sol provient de l’exploitation du gaz naturel et, depuis plusieurs années, subit une inflation colossale, passant de quelques euros le litre d’hélium liquide au milieu des années 2000 à près de trente euros aujourd’hui. Non récupérable une fois dans l’atmosphère, ce gaz rare est donc devenu une « ressource stratégique à préserver » pour Nicolas Zerounian, maître de conférences à l’université Paris-Saclay et membre du groupe de travail du C2N sur le sujet. Comme pour l’eau, le laboratoire s’est doté d’un circuit fermé de l’hélium, en récupérant, compressant et liquéfiant sur place jusqu’à 90 % de sa consommation (700 l/mois). Cependant, ce cercle vertueux a un coût : 22 kW en moyenne pour les compresseurs, l’épurateur et le liquéfacteur. Comme il l’a fait pour la climatisation de la salle blanche, le C2N envisage désormais de récupérer la chaleur fatale dégagée par ces nouveaux équipements.
En deux ans d’expérimentation désormais, le C2N assure ne pas avoir constaté d’altération de la qualité des recherches menées dans sa salle blanche, ce qui a grandement facilité l’adhésion des membres du laboratoire. Idem au LAAS-CNRS, où Hugues Granier note « le consensus des usagers, conscients des enjeux environnementaux et de sécurité ».
Pour aller plus loin, le C2N et le LAAS-CNRS comptent partager leurs expériences respectives au niveau national, en particulier au sein du réseau Renatech, le réseau français de nanofabrication piloté par le CNRS, dont font partie les deux laboratoires, mais aussi dans des articles techniques ou dans le cadre du groupement de recherche Labos1point5, dont l’objectif est de mieux comprendre et de réduire l'empreinte carbone des activités de recherche. Emmanuel Vialan, responsable du service Affaires immobilières et logistique de la délégation Occitanie Ouest du CNRS et chargé de mission Chauffage, ventilation, climatisation – rénovation performance énergétique auprès la direction de la stratégie financière, de l'immobilier et de la modernisation (DSFIM) du CNRS, fort de son expérience de soutien à la réfection du LAAS-CNRS, confesse que si, pour le moment, « il n’y a pas encore de politique sur les salles blanches au niveau national, des réflexions sont en cours pour optimiser la consommation énergétique de deux autres salles blanches de Renatech : l’Institut d'électronique, de microélectronique et de nanotechnologie à Lille et l’institut Franche-Comté électronique mécanique thermique et optique – Sciences et technologies à Besançon (deux bâtiments non-CNRS) ». Une coordination qui pourrait confirmer l’intuition de Sophie Bouchoule : « Si l’on s’y met collectivement, on peut résoudre ces problèmes ».
Bien que les expériences en la matière soient encore rares, elles témoignent du caractère pionnier du CNRS, ce que n’a pas manqué de souligner Fabrice Cocheteux, chef du service de la politique immobilière à la DSFIM : « Ces réalisations sont une grande satisfaction pour le CNRS. Elles attestent de la forte sensibilité de notre établissement en matière de maîtrise de ses dépenses énergétique et environnementale au service de la qualité de vie et de recherche dans ses laboratoires. Bien entendu, la stratégie de rénovation énergétique qu’il porte vaut pour l’ensemble des quelque 530 bâtiments opérés par le CNRS répartis sur une centaine de sites, mais les installations très spécifiques associés à la recherche expérimentale revêtent un enjeu tout particulier étant donné le très haut niveau d’exigence en termes de conditionnement d’air, de filtration, d’extraction et de compensation générant des consommations d’énergie très significatives. C’est le cas des salles blanches comme au LAAS-CNRS ou encore au C2N, ces deux grandes plateformes technologiques ayant bénéficié d’une amélioration très significative de leur performance énergétique grâce à la mobilisation et l’expertise croisée des équipes des unités et des délégations régionales ».