Stations polaires : entre recherche et rapatriements

Institutionnel

Alors que les ponts aériens et maritimes internationaux sont à l’arrêt, comment se déroulent les activités de recherche sur les territoires éloignés et isolés ? Tour d’horizon des stations françaises polaires avec le glaciologue Jérôme Chappellaz.

Jérôme Chappellaz est un habitué des expéditions polaires. Directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l'environnement1 à Grenoble et directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile Victor depuis 2018, il est aussi l’un des coordinateurs du projet scientifique international « Ice memory ». Emanant de l’Institut des géosciences de l'environnement de Grenoble2 , mais aussi de l’université Ca’Foscari de Venise, ce programme scientifique international—dont l’objectif est de créer une banque mondiale d’échantillons de glaciers du monde entier en leg pour les générations futures de chercheurs—a vu son emploi du temps bousculé par la pandémie de COVID-19.

« Nous avons reporté notre opération de carottage en Tanzanie sur le Kilimandjaro. Si les autorités tanzaniennes nous délivraient l’autorisation, cette dernière devait débuter au mois d’août, mais a été reportée à 2021, » explique Jérôme Chappellaz. « Quant au matériel qui était déjà sur place, il va être retourné en France. » Si l’activité d’analyse de référence des carottes est notamment mise sur pause, faute d’accès à l’Institut des géosciences de l'environnement de Grenoble, le calendrier de stockage des carottes déjà prélevées et actuellement stockées dans des entrepôts frigorifiques privés et fonctionnels à Moscou (Russie) et à Grenoble reste inchangé. C’est en 2022 ou 2023 que les carottes prendront le chemin de l’Antarctique, et plus spécifiquement de la station Concordia, installée au Dôme C au cœur du Plateau Antarctique, pour y trouver leur « frigidaire » naturel, une cavité creusée sous la neige, à une température moyenne de − 54 °C pour assurer leur conservation à très long terme.

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Jérome Chappellaz, directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l'environnement à Grenoble et directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile Victor depuis 2018 © CNRS/INSU

Depuis la station Concordia
Si au fil des ans, ses recherches ont souvent amené Jérôme Chappellaz à fouler la neige du Plateau Antarctique, il assure aujourd’hui la pérennité de la station Concordia en partenariat avec l’Italie et avec les équipes de l’Institut polaire français—qui organise également l’activité scientifique de cinq autres stations de recherche en Antarctique, Arctique et Subantarctique. 

Particulièrement isolées, ces stations vivent aux rythmes des campagnes d’hiver et des campagnes d’été au cours desquelles chercheurs, ingénieurs et techniciens se relaient lors de missions scientifiques. Aujourd’hui, 12 personnes maintiennent la station Concordia en mode « hivernage », une moitié française et l’autre italienne. « La dernière fois qu’ils ont vu d’autres personnes, c’était le 7 février. Et la prochaine fois sera autour du 7 novembre, lors de l’arrivée de la prochaine campagne d’été. Durant cette période confinée de 9 mois, il est trop dangereux de faire voler des avions dans la région », indique Jérôme Chappellaz. Ainsi et malgré la pandémie de COVID-19, la vie scientifique suit son court sur la base polaire, mais il y existe « un stress psychologique pour les agents qui ont tous de la famille en France et en Italie », ajoute-t-il.
La station, quant à elle, ne peut pas survivre sans une activité permanente, « les matériaux ne pourraient pas le supporter. La température peut descendre en-dessous de -80 degrés au cœur de l’hiver. » Sur place ce sont des ingénieurs et des techniciens qui suivent la maintenance technique des installations et la continuité des protocoles scientifiques. « La station mène par exemple des projets de recherche en astronomie de suivi d’exoplanètes, reposant sur des télescopes dont il faut maintenir le bon état de fonctionnement », indique Jérôme Chappellaz. En plus du personnel de recherche, on retrouve également un cuisinier, ou encore un médecin pour veiller à la santé de chacun.

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 Entretien d'appareils de mesure météorologiques, près du laboratoire Neige à la base Concordia, en Antarctique © Thibaut VERGOZ/IPEV/LGGE/CNRS Photothèque

Plus loin en Antarctique, Arctique et Subantarctique
La station consœur de Concordia en Antarctique est la base française Dumont d’Urville située sur l'île des Pétrels, dans l'archipel de Pointe Géologie. Une station qui mène des recherches d’observation sismologique, de magnétisme et d’études de l’ozone ou encore des travaux de recherche sur le vivant notamment « les oiseaux et les mammifères marins. » Là-bas également l’activité suit son cours. Le dernier navire ravitailleur a quitté la station fin février pour y laisser derrière lui 24 agents qu’il retrouvera d’ici là mi-novembre lors d’un nouveau ravitaillement.

Mais en Arctique, depuis la station franco-allemande AWIPEV au sein de l’île norvégienne du Spitzberg, l’Institut polaire a rapatrié l’un des trois hivernants en poste sur place afin de le rapprocher de sa famille. Les nouveaux hivernants programmés pour la prochaine campagne ont été confinés en France, la Norvège ayant fermé ses frontières entre temps. Ainsi, aujourd’hui seuls deux hivernants sont encore sur place pour la maintenance de la station AWIPEV.

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La station Dumont d’Urville, station consœur de Concordia en Antarctique © Bruno JOURDAIN/IPEVLGGE/CNRS Photothèque

Rapatriement des Terres australes
Au sud de l’océan Indien, sur les îles australes où sont menées notamment de nombreuses recherches sur le vivant, 13 agents3
gérés par l’Institut polaire français, positionnés dans l’archipel Crozet et les îles Kerguelen et dont la mission prend fin, seront rapatriés d’ici la fin avril par le navire Marion Dufresne, navire de la Flotte Océanographique Française4 . Ce dernier assure, en plus de ses missions océanographiques, la logistique dans les îles subantarctiques françaises sous la responsabilité des TAAF5 , c’est à dire le ravitaillement des stations et le transport des agents. Un rapatriement sous le signe de la sécurité alors que les 13 agents se trouvent dans une situation très particulière. « Le personnel actuellement stationné là-bas dispose d’un système immunitaire fragilisé après le séjour sur l’île. Cela est dû au faible brassage humain du site. Nous allons donc prendre toutes les précautions nécessaires pour ce rapatriement », confie Jérôme Chappellaz. L’équipe du Marion Dufresne, partie le 30 mars, a préalablement été placé en quatorzaine par les TAAF pour ne pas contaminer ces districts éloignés. Une fois sur le navire, les 13 agents y seront probablement confinés jusqu’à leur placement dans un avion depuis Saint Denis de la Réunion vers Roissy, après un transfert en hélicoptère ou en bus spécifiquement affrété. A leur arrivée à Paris, ils seront pris en charge individuellement par l’Institut. Une mission que le navire Marion Dufresne remplira avant de reprendre ses activités océanographiques ou de ravitaillement des îles australes.

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La navire Marion Dufresne assure, en plus de ses missions océanographiques, la logistique dans les îles subantarctiques françaises sous la responsabilité des TAAF © Jérôme FOURNIER CNRS Photothèque
 
  • 1CNRS/IRD/Université Grenoble Alpes
  • 2L’Institut des géosciences de l'environnement
  • 3Dont 1 agent CNRS
  • 4Le Marion-Dufresne est positionné au sein de la Flotte Océanographique Française. Ainsi ses missions océanographiques sont pilotées par la FOF, alors que les missions logistiques du navire sont organisées par les TAAF, l'Institut polaire français se servant de ces missions logistiques pour les mouvements des personnels sous sa propre responsabilité.
  • 5Terres Australes et Antarctiques Françaises