Entretien: Teruo Fujii, président d'UTokyo, sur la création d'un Centre de recherche international avec le CNRS

Institutionnel

En octobre dernier, le CNRS a créé un Centre de recherche international avec la prestigieuse université de Tokyo, première institution du Japon. Son président, Teruo Fujii, nous explique pourquoi cette étape est importante pour les deux institutions, qui partagent déjà un certain nombre de projets de recherche interdisciplinaires de haute qualité.

Vous venez de signer le lancement d'un Centre de recherche international (IRC1 )  avec le CNRS. Ce nouveau type de structure permet de mener un dialogue stratégique ambitieux pour définir des intérêts partagés et des collaborations avec des projets communs et cofinancés. Qu'attendez-vous d'un niveau de coopération aussi élevé ?
Teruo Fujii : Le nombre d’International Research Laboratories (IRL2 ) que nous avons avec le CNRS à l'Université de Tokyo (UTokyo) a augmenté significativement ces dernières années. Avec la création de notre quatrième3 IRL et compte tenu de nos diverses autres collaborations, la création d'un IRC en tant que structure englobante à l'échelle universitaire s'impose naturellement. Lors des discussions menées entre le CNRS et l'UTokyo, il a été établi que cet IRC fournirait un cadre d'échange sur un ensemble de sujets non spécifiques à un domaine. Par exemple, nous pouvons partager nos efforts dans des domaines où des actions peuvent être menées ensemble, comme sur la diversité et l'inclusion (D&I). J'espère également que nous pourrons étendre nos collaborations aux sciences humaines et sociales, ainsi qu'à d'autres nouveaux domaines scientifiques. Pouvoir former et accompagner des doctorants dans ce cadre est une formidable opportunité.

Bâtiment
© University of Tokyo

L'Université de Tokyo a déjà des liens forts avec la recherche française, et le CNRS plus particulièrement.
T. F. : En effet, l'Université de Tokyo a une longue histoire de collaboration avec des institutions françaises. Notre relation avec le CNRS a commencé dans les années 1990, lorsqu'une délégation conduite par Jean-Jacques Gagnepain4  a visité notre Institute for Industrial Science (IIS) en tant que partenaire potentiel dans le domaine des systèmes micro-électro-mécaniques (MEMS). Le directeur général de l'IIS à l'époque, Fumio Harashima, avait une vision très internationale, ce qui a conduit à la création en 1995 du Laboratory for Integrated Micro Mechatronics Systems (LIMMS) avec le CNRS. Le LIMMS existait initialement en tant que projet de recherche commun, mais est devenu en 2004 le premier IRL en Asie. Depuis son lancement, le LIMMS a accueilli plus de 300 scientifiques français et européens.

Les approches de la recherche en France et au Japon sont différentes. Et ces différences se complètent, permettant de mener des recherches très compétitives. Elles nous rendent également plus réceptifs à l'interdisciplinarité. J'étais d’ailleurs co-directeur du LIMMS entre 2007 et 2014, et pendant ce temps, la nature interdisciplinaire de la recherche s'est considérablement accrue, la chimie et la biologie s'impliquant de manière proactive. Notre collaboration avec le CNRS s'est développée en conséquence.

Grâce à ces ajouts, le LIMMS a pu étendre ses recherches à des domaines plus larges, y compris la médecine. Citons par exemple la structure miroir du LIMMS située à Lille, baptisée Seeding Microsystem in Medicine in Lille – European-Japanese Technologies against Cancer (SMMIL-E), un programme global de recherche anticancéreuse sur les microsystèmes pour la biologie et la santé (bioMEMS), et le projet Innovation in liver tissue engineering (iLite), axé sur la bioconstruction de foies artificiels par l'assemblage de composants construits séparément tels que des organoïdes hépatiques, des réseaux vasculaires et des réseaux biliaires. En plus de cela, nous nous sommes également positionnés sur les dispositifs photovoltaïques, l'énergie solaire et d'autres technologies vertes.

La mise en place d'une organisation permettant des échanges à court et à long termes de scientifiques, des étudiants aux professeurs titulaires, est extrêmement bénéfique. Des laboratoires comme le LIMMS permettent aux chercheurs et chercheuses de rapporter ce qu'ils ont appris à leurs laboratoires d'origine, où ils peuvent approfondir leurs connaissances pour développer de nouvelles idées.

Vous avez récemment pris la direction de l'Université de Tokyo, l’université la plus prestigieuse du Japon. Elle définit souvent la politique du pays en matière de recherche et d'éducation. Quels sont les principaux objectifs de votre mandat et quels sont les principaux défis auxquels est confronté le monde de la recherche au Japon ?
T. F. : J'ai toujours été convaincu que la mondialisation était très importante pour la communauté de recherche japonaise, et notre collaboration avec le CNRS rend son importance encore plus évidente. Il est important que les jeunes chercheurs et chercheuses, en particulier au niveau du doctorat, acquièrent une expérience internationale. La présence accrue des IRL au Japon, et pas seulement en partenariat avec UTokyo, est bénéfique à tous. Et UTokyo aimerait rejoindre d'autres IRL à l'avenir.

Le Japon dans son ensemble doit redoubler d'efforts pour augmenter le nombre d'étudiants souhaitant se lancer dans un doctorat avant de poursuivre leur carrière. Pour y parvenir, il est important d'augmenter les opportunités d'internationalisation et d'interdisciplinarité, et de permettre aux étudiants de mieux voir l’impact sur leur future carrière. Une augmentation de la collaboration des universités avec l'industrie est donc cruciale, étant donné que ses défis et ses activités sont intrinsèquement internationaux et interdisciplinaires. Le renforcement de notre collaboration avec l'industrie soutiendra également nos efforts pour améliorer la diversité et l'inclusion. De même, nos collaborations avec le CNRS conduiront également à de nouvelles collaborations avec des entreprises mondiales et des organisations internationales dans des domaines d'intérêt commun, tels que la D&I et la crise climatique.

Deux étudiants sous des arbres sur un campus universitaire japonais
© University of Tokyo

En septembre dernier, vous avez publié une déclaration expliquant les principes directeurs d'UTokyo. Pouvez-vous nous en dire plus ?
T. F. : Dans cette déclaration, appelée « UTokyo Compass », nous décrivons les idéaux auxquels notre université devrait aspirer et les directions qu'elle doit prendre. Nous fixons des objectifs et formulons des plans d'action à partir de trois perspectives : les connaissances, les personnes et les lieux. En créant un cercle vertueux entre ces trois perspectives, UTokyo s'efforce, en tant qu'université au service de la société, de soutenir des individus talentueux aux profils variés et de trouver des solutions aux principaux problèmes mondiaux. UTokyo Compass trace ainsi une nouvelle voie pour nous, en tant qu'organisation qui a la volonté de remettre en question ses possibilités et de se réinventer. Il met également l'université au défi de mettre ses vastes capacités créatives à l'épreuve.

Pour moi, le plus important est d’avoir un dialogue constructif, pour évaluer les besoins et construire l'avenir. Et par dialogue, je pense à la volonté de comprendre, pas simplement de parler ou de partager des informations. Afin de résoudre des problèmes mondiaux complexes tels que la durabilité des ressources limitées de notre planète, il est essentiel pour nous de comprendre les différentes cultures et valeurs.

La recherche que l'UTokyo mène conjointement avec le CNRS crée « une symphonie polyphonique », alimentée par des scientifiques aux parcours et aux expériences diverses. J'espère que les collaborations entre nos deux institutions feront avancer nos objectifs, et la science en général. Il ne fait aucun doute que le dialogue que nous aurons à travers l'IRC nous aidera à trouver de meilleures solutions aux défis de grande envergure d'aujourd'hui et de demain.

  • 1Le CNRS a trois autres IRC : avec l'Université d'Arizona (2021), l'Imperial College de Londres  (2022) et l’université de Chicago (2022).
  • 2Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
  • 3DYNACOM (Dynamic Control of Materials) a été créé le 4 octobre 2022 entre le CNRS, l'Université de Rennes-1 et l'Université de Tokyo.
  • 4Jean-Jacques Gagnepain a été directeur scientifique du département des sciences de l'ingénieur du CNRS de 1991 à 2001.