QUIET met au point une vaisselle silencieuse en partenariat avec des chercheurs lyonnais
Une révolution sonore s’annonce dans le secteur de la restauration collective. La deeptech QUIET a développé avec le laboratoire « Ingénierie des Matériaux Polymères » une solution qui réduit de 85% le bruit de la vaisselle en verre trempé. Une première au monde.
Toute aventure entrepreneuriale repose sur une innovation. Pour la start up bordelaise QUIET, cette innovation dont on n’a pas fini d’entendre parler porte le beau nom de ‘’silence’’ en anglais.
L’idée a germé en 2018 dans la tête de l’un des trois cofondateurs qui totalisent quarante ans d’expérience dans le secteur de la restauration collective. Son constat ? Le bruit des assiettes qui s’entrechoquent lors de la plonge dans les cantines scolaires expose les personnels à un risque professionnel, celui de pertes auditives. Le projet ? Les trois associés se lancent un pari audacieux : développer et commercialiser une vaisselle en verre trempée innovante, car silencieuse. Et ainsi améliorer les conditions de travail dans les cantines.
Un cahier des charges très challengeant
Pour transformer l’essai et passer de l’idée à la réalité, le trio fait appel en 2019 à des experts lyonnais en chimie des polymères du laboratoire « Ingénierie des Matériaux Polymères » (IMP - CNRS/INSA de Lyon/ Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet). « C’est tout naturellement que nous nous sommes adressés à l’IMP basé sur le site de l’INSA Lyon, en particulier l’équipe spécialiste des silicones. Nous savions qu’une couche d’élastomère collée sur le revers de la vaisselle pourrait être une piste, mais nous n’avions aucune connaissance sur le sujet, et nous sommes présentés en non-sachants », confie Sophie Moritel, cofondatrice de QUIET. « Les circonstances sont intéressantes à rappeler, ajoute François Ganachaud, Directeur de recherche CNRS à l’IMP. Nous étions en plein Covid et dans le cadre des projets de fin d’étude à l’INSA, spécialité Science et Génie des Matériaux, il a été proposé l’idée de travailler gracieusement pour des start-up ou PMEs qui n’ont généralement pas accès à ces contrats. Le projet de QUIET, applicatif et très novateur, et l’approche humble de ces entrepreneurs nous ont convaincus de travailler avec et pour eux ».
Pour les scientifiques, le cahier des charges relève de la R&D. « Nous devions d’une part mettre au point un matériau commercialisable, un élastomère, de grade alimentaire, et d’autre part garantir sa parfaite adhésion avec le dessous de l’assiette en verre trempé », explique Raphaël Brunel, ingénieur transfert technologique pour l’IMP et Insavalor (la cellule de transfert de technologie de l’Insa), qui a réalisé une première prestation d’envergure avant la validation par le stage de fin d’étude en laboratoire. « Le silicone devait également tenir lors du lavage haute température en lave-vaisselle et ne pas laisser de tâches au contact d’aliments salissants », complète François Ganachaud. Autant de challenges qui motivent les chercheurs, qui n’en sont pas à leur premier projet de recherche appliquée quelque peu insolite, eux qui ont notamment conseillé une autre start-up sur la mise au point de ceintures en silicone (Loopme). Le travail en laboratoire porte ses fruits avec l’aide de Camille Godinot, étudiante INSA en 5ème année. Les chercheurs mettent au point le revêtement en silicone qui répond en tout point au cahier des charges.
Concrètement, la vaisselle bi-matériaux en verre trempé et élastomère réduit de 85 % le bruit généré par les assiettes entrechoquées en cuisine et dans les salles de restauration. Le silence n’est pas l’unique qualité de cette vaisselle qui s’avère également antidérapante, trois fois plus solide et ne générant pas de brisures lorsqu’elle se casse, et réduisant la conduction thermique de moitié.
Signe de l’excellente collaboration entre les entrepreneurs et les scientifiques, la première gamme signée QUIET - petite assiette, grande assiette et coupelle - est baptisée ‘’Jules Verne’’, du nom du bâtiment de l’INSA Lyon qui abrite le laboratoire où le « Eurêka » a été prononcé.
Des perspectives de commercialisation engageantes
« Après cette première phase de conception, nous avons abordé la phase de développement à l’échelle industrielle, afin de vérifier que nos produits étaient viables pour le marché », explique Sophie Moritel, de QUIET. Testée dans trois écoles de Talence, la gamme est commercialisée depuis la mi-2022.
L’innovation, fruit du partenariat entre QUIET, le CNRS, et l’INSA Lyon est promise à un très bel avenir. « La problématique du bruit en plonge ne se limite ni aux cantines scolaires, ni à l’Hexagone. Notre gamme silencieuse et anti-dérapante peut intéresser toutes les cantines, de la petite enfance, du CROUS et du médico-social, les personnes qui souffrent d’hyper acousie ou de troubles autistiques, tout comme les secteurs de la voile ou des véhicules de loisir, type camping-car », anticipe Sophie Moritel.
La deeptech , source d’innovation dans tous les domaines
La cofondatrice de QUIET partage la « fierté d’une innovation mise au point avec un réseau de partenaires ». Au-delà du CNRS et de l’INSA Lyon, des entreprises ont permis l’industrialisation, l’incubateur Unitec Bordeaux a apporté son accompagnement, BPIfrance et la région Nouvelle Aquitaine leur financement et un cabinet juridique a structuré la démarche. « Cette innovation aujourd’hui commercialisée illustre l’importance de la patience dans un projet entrepreneurial, mené notamment pendant la période Covid. Elle révèle également que la dimension tech d’une start-up qualifiée de ‘’deeptech’’ rime avec des innovations scientifiques de rupture sans faire nécessairement appel à des technologies plus plébiscités, telles que l’IA ou les puces RFID », se réjouit l’entrepreneuse. Signes d’un futur prometteur, QUIET a reçu en 2023 le prix FrenchTech Bordeaux et est lauréate aux « Décibels d’Or 2024 ». Ses trois cofondateurs reviennent du CES de Las Vegas…
Parmi les défis à venir, la question du recyclage de cette vaisselle silencieuse. Ce challenge est partagé autant par les entrepreneurs que par les chercheurs. « Les filières de recyclage n’existent aujourd’hui ni pour le verre trempé, ni pour le silicone », conclut François Ganachaud, l’œil pétillant. Et l’on comprend que le chercheur du CNRS travaille déjà sur le sujet. A suivre...