Des matériaux nanofibreux nouvelle génération pour la mobilité, l’énergie et l’environnement

Innovation

Le 15 avril dernier, Michelin, le CNRS et l’Université de Strasbourg ont inauguré SpinLab, un laboratoire commun dédié à l’électrospinning. Une collaboration fructueuse au service d’enjeux scientifiques et technologiques partagés.

L’Institut de Chimie et Procédés pour l’Énergie, l’Environnement et la Santé (ICPEES, CNRS / Université de Strasbourg) est une référence à l’échelle internationale dans le domaine de l’électrospinning, procédé qui utilise l’électrostatique - et non la mécanique - pour former des fibres en les étirant et les projeter à grande vitesse sur un substrat grâce à l’action d’un champ électrique intense.

« Depuis plus de 15 ans, nous créons des matériaux aux propriétés exceptionnelles, sous la forme d’un voile constitué de fibres continues cent à mille fois plus fines qu’un cheveu (entre 0,1 et 1 micron), qui présente une porosité ouverte et un grand rapport surface/volume. Ce procédé s’applique à presque tous les polymères », explique Guy Schlatter, enseignant-chercheur à l’École Européenne de Chimie Polymères et Matériaux (Université de Strasbourg) qui abrite l’ICPEES. Et d’ajouter : « notre laboratoire est reconnu pour sa capacité à fabriquer des fibres structurées de façon organisée et non aléatoire ».

Un tissage électrostatique innovant


C’est donc tout naturellement vers les scientifiques du CNRS et de l’Université de Strasbourg que le groupe Michelin s’est tourné pour créer un laboratoire commun, SpinLab, d’une durée de 4 ans renouvelable, afin d’étudier les phénomènes physiques permettant d'obtenir des matériaux dont la structure fibreuse est organisée dans les trois dimensions. « Michelin a de longue date des relations très constructives avec le CNRS, il était donc naturel de nous tourner vers le CNRS lorsque nous avons cherché des partenaires pour nous accompagner dans l’aventure du développement de la filière hydrogène. Le choix de l’université de Strasbourg s’est fait en concertation avec le CNRS après avoir évalué un ensemble de laboratoires. Ce laboratoire a notamment un savoir-faire très spécifique sur l’électrospinning, alliant excellence scientifique et volonté de rendre utilisable ces technologies prometteuses », confie Christophe Moriceau, Directeur de la recherche avancée du groupe Michelin.

Concrètement, l’enjeu des équipes consiste à « guider le dépôt des fibres par voie électrostatique pour organiser le voile fibreux tel un ‘’pseudo-tissage’’ », résume Guy Schlatter. 

L’union des expertises s’articule autour de deux axes de recherche. Le premier concerne les procédés. Il vise à comprendre les mécanismes physiques et physico-chimiques de structuration des fibres, créer des matériaux composites et mettre au point un procédé d’électrospinning éco-responsable qui utilise des solvants « verts » ou la voie aqueuse. Et ce, alors qu’aujourd’hui, la technologie utilise des solvants organiques pouvant présenter une toxicité élevée. Le second vise à créer des tissages pour deux applications spécifiques, d’une part l’hydrogène et la mobilité zéro émission, d’autre part les adhésifs.

« Fidèle à son ADN, Michelin souhaite produite des matériaux composites techniques créateurs de forte valeur apportant à la fois une performance inégalée sur des applications critiques tout en améliorant l’ensemble des aspects environnementaux. Ce ne seront pas des matériaux fibreux seuls mais des matériaux ou des produits plus complexes, dans lesquelles la partie fibreuse sera un des apports constitutifs », explique Christophe Moriceau.

Inauguration du laboratoire commun SpinLab. De gauche à droite : Géraud Delorme, Michel de Mathelin, Irène Weiss, Françoise Bey, Anne-Marie Jean, Emmanuel Custodero, Guy Schlatter, Benoit Lafitte, Christophe Moriceau, Stéphane Le Calvé © Thomas Lang

Un équipement dédié


Dans le cadre du laboratoire commun, les équipes de Michelin et de l’ICPEES vont mettre au point une machine sur-mesure qui permettra de faire fonctionner trois lignes d’électrospinning en parallèle. « Grâce à cette plateforme d’électrospinning unique au monde qui sera hébergée à Strasbourg au sein de l’ICPEES, nous conduirons des manipulations sur-mesure pour comprendre les mécanismes d’interaction entre les fibres au moment du dépôt, grâce à des moyens de mesure du champ électrique, des caméras haute vitesse, des prises de vue simultanées, etc. », s’enthousiasme Guy Schlatter.

Des applications variées


Concrètement, la collaboration entre les équipes de Michelin et celles de l’ICPEES ouvre des perspectives nouvelles dans de nombreux domaines. « Les premières applications envisagées concernent la membrane à hydrogène, qui est un des enjeux clés de la mobilité décarbonée. Au-delà, on peut aussi imaginer d’autres types d’applications, que ce soit dans les pneumatiques, des courroies, des joints, des applications ferroviaires comme les soufflets entre les wagons », précise Christophe Moriceau . Et d’ajouter : « il est important de souligner que le champ de Michelin, aujourd’hui, ne se limite plus à la mobilité. La stratégie du groupe Michelin est d’appliquer ses compétences et savoirs faire historiques à de nouveaux domaines où la combinaison de performances critiques et un bénéfice environnemental permettent de créer un impact positif, tout en ouvrant de nouveaux champs de croissance. C’est déjà le cas, par exemple, de nos implications dans le secteur spatial ou médical, dans lesquels de nombreuses applications peuvent être imaginées aussi pour l’électrospinning ».

Image obtenue par microscopie électronique à balayage montrant un cheveu de 60 microns de diamètre déposé sur un tapis de nanofibres de polyester fabriquées par electrospinning et de diamètre moyen de 0,3 microns © ICPEES

Une collaboration public-privé dans la durée


« Notre domaine de recherche, l’électrospinning, proche des applications, intéresse les industriels. Les besoins exprimés par Michelin dans le cadre de ce laboratoire commun nous permettent de gagner en compétences sur ce procédé novateur. Notre collaboration s’avère très fructueuse », se réjouit Guy Schlatter.

Les moyens déployés sont importants : 7 millions d’euros d’engagement R&D, une douzaine d’ingénieurs de recherche, de doctorants et post-doctorants, une vingtaine de chercheurs impliqués dans un programme de recherche commun de 4 ans.

Pour le groupe Michelin,  le travail avec les laboratoires communs, ancré dans la durée, est intéressant à plusieurs titres. « D’abord, ce dispositif favorise le développement des thématiques et allie le temps de la recherche fondamentale avec une approche de recherche plus appliquée. Ensuite permet d’une part aux chercheurs de Michelin de maintenir l’excellence de leur niveau scientifique, qui est une des clés majeures de l’innovation pour le Groupe, et d’autre part aux chercheurs académiques de traiter des sujets à forte valeur scientifique, objet de publications, tout en participant à une aventure dans laquelle leurs travaux contribuent à des résultats concrets. Enfin, il contribue à rapprocher le monde académique et le monde industriel, et suscite des vocations pour des parcours futurs pour les doctorants », conclut Christophe Moriceau.

La mise en œuvre de SpinLab, soutenu par l’Institut Carnot MICA, profitera à la recherche mais aussi à l’enseignement. Une filière se met en place en lien avec des projets industriels pour relever les défis technologiques et sociétaux.