Mélusine 2 : décarboner la centrale électrique de demain
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». La maxime de Lavoisier prend tout son sens avec le laboratoire commun Mélusine, qui offre des solutions membranaires inédites pour trier, récupérer et valoriser les effluents des centrales électriques afin d’augmenter leur performance énergétique et environnementale. En renouvelant leur partenariat, EDF et le LRGP ambitionnent de contribuer activement à la décarbonation des usages dans l'industrie électrique et à la préservation de l’environnement.
L’équipe commune Mélusine, associant la R&D d’EDF et le Laboratoire Réactions et Génie des Procédés (LRGP, CNRS / Université de Lorraine), explore de nouvelles voies pour décupler les performances énergétiques et environnementales des centrales électriques. L’équipe développe des procédés membranaires pour le traitement et la valorisation des effluents liquides et gazeux dans les centrales électriques du futur.
Après cinq années de recherches fructueuses ayant abouti à plusieurs prototypes innovants, l’acceptation de deux projets dans le cadre de France Relance et au dépôt de deux brevets, Mélusine entame un nouveau chapitre de son histoire avec le renouvellement du partenariat entre l’énergéticien et le laboratoire lorrain. Scientifiques et ingénieurs élargissent leur périmètre d’investigation vers le traitement de l’eau et la capture du CO2.
Pour Thibaut Neveux, ingénieur chercheur à la R&D d’EDF et qui a soutenu sa thèse de doctorat en génie des procédés au LRGP en 2013, « il est crucial, pour un industriel qui souhaite innover, de revenir aux fondamentaux des processus mécaniques et physicochimiques ». Le partenariat entre EDF et le LRGP s’inscrit dans cette logique : « les solutions technologiques disponibles sur le marché ne sont pas adaptées à nos procédés » insiste-t-il. Grâce à Mélusine, les industriels s’allient aux équipes académiques pour adapter des procédés existants aux contraintes du secteur de l’énergie nucléaire (innovations de transfert), et pour faire émerger de nouvelles technologies de rupture.
Traiter les effluents des centrales électriques
L’une des premières problématiques à laquelle Mélusine s’est attaquée concerne le traitement des effluents liquides et gazeux des centrales électriques. Ces infrastructures utilisent certains produits chimiques pour protéger leurs circuits, à l’instar du bore dans les réacteurs nucléaires à eau pressurisée. « Cet élément chimique naturel, qu’on retrouve dans l’eau de mer par exemple, est injecté dans l'eau du circuit primaire pour contrôler le flux de production de neutrons », précise Thibaut Neveux. L’équipe Mélusine est parvenue à développer une technologie membranaire, alternative aux techniques actuelles, qui permet de récupérer le bore et de le recycler au moment de la purge de ces circuits.
Ils se sont appuyés sur des membranes préexistantes très utilisées dans les usines de traitement de l’eau salée et « qui fonctionnent selon le principe de l’osmose inverse », souligne Éric Favre, Professeur de génie des procédés et chercheur CNRS au LRGP. « Une architecture de procédé a été brevetée, poursuit-il, et va être testée sur site d’ici l’année prochaine ». En se déployant, ces membranes permettent à l’industrie d’améliorer considérablement la circularité et la réutilisation des molécules à forte valeur ajoutée.
Des membranes innovantes pour plus d’efficacité thermique
Depuis son lancement en 2019, Mélusine a également proposé une solution membranaire novatrice pour éliminer des gaz dissous dans l’eau sans recourir à la chaleur comme c’est le cas aujourd’hui. Sous la houlette de Thibaut Neveux, l’équipe commune a conçu une membrane de séparation compacte, qui fonctionne sans apport thermique et permet de « diminuer d’un facteur 10 l’énergie requise pour cette opération », s’enthousiasme Éric Favre. Un dispositif pilote de cette avancée technologique, désormais brevetée, sera installé dans une centrale dans les prochains mois.
Pour ce professeur en génie des procédés, la force de Mélusine réside dans sa capacité à « mener de front des aspects fondamentaux et applicatifs, pour répondre à des enjeux industriels concrets et aux contraintes environnementales ». C’est dans cette perspective que l’équipe commune de recherche s’attaque également au défi de la récupération de la chaleur résiduelle générée par les centrales électriques, dont une part importante demeure inutilisée et rejetée dans l’environnement. Les scientifiques étudient actuellement, dans le cadre d’une thèse de doctorat encadrée par le LRGP et la R&D d’EDF, l’intérêt d’une « technique de distillation transmembranaire[1] alimentée par la chaleur des circuits des réacteurs », précise Thibaut Neveux. Une fois déployé, ce procédé permettrait de séparer et de valoriser des composants d'intérêt industriel, sans apport supplémentaire d’énergie.
L’eau, le carbone et l’énergie comme un tout indissociable
Le renouvellement récent du partenariat entre EDF et le LRGP via Mélusine 2 incarne l’engagement respectif de ces deux institutions à poursuivre les innovations entamées et à les mener à l’échelle industrielle. « Le périmètre de Mélusine 2 sera plus étendu », prévient Éric Favre, puisque la transition écologique nous invite autant à réduire l’empreinte en eau, qu’à maitriser les effluents et abaisser la dépense énergétique globale ». Mélusine 2 se positionne à l’intersection de ces trois approches traditionnellement distinctes dans les stratégies industrielles.
Mélusine 2 prévoit ainsi de « porter les innovations déjà lancées jusqu'à leur industrialisation », souligne Thibaut Neveux et pour explorer de nouvelles solutions tant sur le plan du traitement de l’eau que celui de la circularité des matières et de la décarbonation. Il s’agira notamment de développer des solutions membranaires permettant d’améliorer les boucles de recyclage de l’eau et d’aboutir à des solutions de capture directe du CO2 dans l’air.
[1] Procédé thermique qui repose sur les différences de solubilités/volatilités entre les molécules d’eau et les autres molécules à forte valeur ajoutée comme le bore ou l’ammoniac